Après le raz-de-marée provoqué par la sortie du génial "Boy In Da Corner" de Dizzee Rascal, nombreux étaient ceux qui attendaient la première livraison "officielle" du patron du Roll Deep Entourage. Mc/producteur affûté qui fit ses armes sur les ondes des radios pirates londoniennes, Wiley Kat (a.k.a. Eskiboi) profite de l'engouement presque général autour du genre dont il est un des pionniers, pour parachuter ce "Treddin' On Thin Ice" via le label XL Recordings (Basement Jaxx, Dizzee…).
Dans la lignée de "Boy In Da Corner" et à l'image du premier maxi 'Wot Do U Call It ?', "Treddin' On Thin Ice" se veut un album hybride. Entre UK garage agressif, hip hop dancefloor tendance dirty south et sonorités 8-bit, Wiley livre un opus dense et synthétique soutenu par de lourdes rythmiques et ponctué de punchlines élastiques, façonnées dans les studios embrumés d'East London.
Energique, brut et frénétique, "Treddin' On Thin Ice "regorge de hits underground rythmés par les rebonds d'un flow aux inflexions dancehall revendiquées. Ainsi, le possecut 'Pick U R Self Up', avec 3 des 12 mc's du Roll Deep (dont le J2k de la série "Heat In The Street") et le second single 'Pies', décoré d'un sample à l'empreinte digitale, font office de tubes grime absolus. Au moins autant que ce 'Reasons' à la composition complexe et fissurée et au vocoder insolent
La fin de l'album s'avère plus pondérée, moins énervée. L'excellent track 'Treddin' On Thin Ice', au refrain ragga jubilatoire, prépare l'auditeur au bouquet final 'I Was Lost', outro hypnotique et métallique qui tranche avec l'énergie et la désinvolture distillées tout au long du LP. Une rupture tant au niveau de l'ambiance que de la thématique, le post-ado arriviste et virulent de 'The Game' se muant ici en adulte en pleine introspection – toute candide soit elle. (
"Confront the situation like a punch in the face… you should stay in your place… I was lost, I had to be found, I had to wake up, I had to think first, before I flip out, before I made my move… just remember that you're human").
Une accalmie nécessaire qui clôt idéalement l'album et permet au mc de récupérer et à l'auditeur de reprendre ses esprits. Car si l'intro dynamitée 'The Game', le tube 'Wot Do U Call It ?' et le syncopé 'Doorway' ont un dénominateur commun, ce ne peut être que la fougue et l'intensité des phases et des beats droppés par Wiley. Une frénésie et une virulence presque permanentes puisque les trois interludes disséminées sur les plages du LP sont autant d'exercices soniques intenses. Mention spéciale au saturé, presque warpien, 'Avalanche'.
Une seule franche déception au tracklisting, la niaiserie 'Special Girl' et sa rengaine à l'eau de rose (
«I need someone who understands me») dont on a du mal à saisir l'intérêt. Au micro, l'Eskiboi fait preuve d'une étonnante adaptabilité, habillant les beats syncopés de ses compositions d'un flow mesuré, souvent tranchant et toujours technique (cf. 'The Game' ou 'Wot Do U Call It ?'), variant constamment les intonations ('Treddin' On Thin Ice'), alternant accélérations contrôlées ('Goin' Mad') et passages laid-back ('I Was Lost'
) avec aisance. Seules ombres au tableau, la relative crédulité qui transpire de titres comme 'Special Girl' ou 'I Was Lost'
et la prédominance de l'égotrip.
Largement recommandable, "Treddin' On Thin Ice" souffre néanmoins de la comparaison avec l'album de Dizzee Rascal, sorti l'an dernier. S'il ne fait aucun doute que Wiley est un beatmaker plus expérimenté, plus audacieux peut être, que son ex-acolyte du Roll Deep Entourage, qui privilégiait les constructions minimalistes aux arrangements alambiqués ; si l'on ne peut remettre en cause la variété des ambiances créées et l'efficacité des samples choisis, force est de constater que le jeune Dylan Mills affichait, sur son "Boy In Da Corner", un charisme et une prestance qui font ici défaut à Wiley.
En un mot comme en cent, "Treddin' On Thin Ice" est une carte de visite, somme toute réussie, d'un artiste prometteur et créatif. Un album qui cristallise les ambitions d'une scène encore émergente qui pourrait vite jouer les trouble-fêtes.
Kreme Juin 2004