En gravitant dès l'âge de 16 ans autour de la sphère underground du Garage londonien (Roll Deep Crew, So Solid…) et en ingurgitant goulûment pendant cette période d'apprentissage Hiphop, Dancehall, Acid House et Jungle au point de faire de ses influences un background aussi varié qu'exploitable, Dylan Mills a très vite conquis le public assidu des dancefloors d'East London.
Le single/meurtre annonciateur 'I Luv U' cristallise d'ailleurs toutes ces inspirations aussi antinomiques soient elles. Il en ressort un tube interplanétaire, marketé comme "l'avenir du Uk Garage" mais dont les prétentions vont bien au delà. Rascal rebondit sur un breakbeat futuriste avec la verve d'un Roots Manuva sous acide, et le duo qu'il forme avec cette obscure rappeuse robotique donne droit à quelques punchlines adroites et à une mise en scène jubilatoire (
"Is that your girl?" "No, that ain't my girl." "She got juiced up." "Oh well.").
Mais Dizzee vise la pérennité et "Boy In Da Corner" - premier long format dévastateur - regorge de hits aussi jouissifs que le single précité. Parmi ceux-ci, 'Fix Up, Look Sharp' fait office de prétendant idéal à une longue carrière de tube. Le beat est assourdissant. Le Mc l'accapare et en fait le terrain de jeu idéal de son flow rapide et maîtrisé. L'introduction du sample "I got the big beat", usurpé à Billy Squire vient aciduler le refrain et fait de cette sixième plage la plus mémorable de l'album.
Le criminel 'Hold Ya Mouf', partagé avec God's Gift (fellow agité du Roll Deep Crew) préserve la même intensité dancefloor tout en intègrant des éléments propres au gangsta rap (dans le thème et l'utilisation du "beat-gunshot" notamment) ; le synthétique et distordu 'Live O' illustre, quant à lui, la versatilité du flow de Dizzee qui s'adapte sans aucun mal à cette bande son compliquée, tandis que 'Jus A Rascal' révèle une saveur "Dirty South" flagrante.
Mais Mills n'oublie pas d'ajouter à cet élixir bouillant une teneur lyricale. Il dénonce habilement le fossé entre dirigeants et dirigés sur '2 Far' (
"Queen Elizabeth doesn't know me. How can she control me when I live street and she lives neat?") ou le matérialisme environnant sur 'Wot U On' (
"Love talks to everyone, money talks more"), il traite des rapports amoureux sur 'I Luv U' et évite le cliché quand il évoque le problème de la violence ('Brand New Day').
Avec ce premier disque/passerelle aux ambiances tant travaillées que bigarrées - enregistré avant qu'il n'ait 18 ans et presque entièrement produit par ses soins - Dizzee Rascal surprend par sa précocité, son talent et sa propension à balayer tous les genres musicaux. "Boy In Da Corner" est un modèle d'efficacité qui n'affiche aucune réelle faille et qui augure du meilleur pour la suite. Le Mc britannique emprunte au Dancehall son énergie, au G-Rap sa virulence et au Garage ses rythmiques pour construire un édifice sonique solide, éloigné de tout poncif et à l'abri des étiquettes. Ce judicieux mélange des genres et cet opportunisme font la force de "Boy In Da Corner" et devraient assurer son immuabilité.
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Kreme Août 2003