Micranots
The Emperor & The Assassin

En 2 albums et un EP, I Self Divine et Kool Akiem se sont bâtis un monument sonore à la hauteur des obélisques qu'ils affectionnent tant. Depuis l'accueil chaleureux réservé à "Obelisk Movements" par toute une frange de la presse et du public, les Micranots jouissent en effet d'une réputation sans tâche. En permettant à de nouveaux auditeurs de découvrir les débuts de leur carrière, la discrète mais fracassante réédition de leur superbe premier album "Return of the Travelllahz 1996" l'an passé leur a garanti le statut d'icônes de l'underground actuel. Si l'on excepte la parenthèse Semi.Official (concrétisée par "The Anti-Album"), en restant concentrés sur l'entité Micranots et en évitant de s'épancher à l'infini en featurings et en productions chez les amis, I Self et Kool Akiem se sont imposés un contrôle qualitatif très strict qui tranche intelligemment avec les us et coutumes de nombre de leurs contemporains. En effet, cette polarisation des efforts est un gage de qualité qui garantit l'intérêt des projets porteurs du sceau Micranots. Du coup, chacune de leur sortie n'en est que plus attendue. Conscient de cette aura et pas né de la dernière pluie, le duo a donc pris le temps qu'il fallait pour s'assurer que son troisième LP soit à la hauteur des attentes légitimes de leurs nombreux fans. On aura donc attendu pendant longtemps le successeur du désormais classique "Obelisk Movements". Heureusement, après avoir été annoncé pendant plus d'un an, "The Emperor & The Assassin" est enfin dévoilé par Rhymesayers en ce mois de Février.

Une fois de plus, dès les premières mesures, la qualité des productions de Kool Akiem capte notre attention. On ne décrochera plus. Avec ses rythmiques imposantes mixées en avant, ses basses énormes, ses scratches savamment dosés et ses samples bien trouvés qui aiment jouer sur les déséquilibres, l'architecte sonore des Micranots se montre à nouveau impérial. A la fois minimalistes et denses, souvent agressives et brutales, toujours "élégamment rugueuses" (comme le groupe le dit à juste titre), ses confections parviennent à allier classicisme et touches expérimentales avec un souci constant de l'efficacité et une maîtrise bluffante. Avec sa rythmique écrasante, son déluge de scratches et ses progressions de cordes saccadées, le martial 'Glorious' (qui brillait déjà sur le premier maxi) en est un bel exemple. Tout en étant diablement bien construit et loin d'être facile, son beat tellurique n'oublie jamais de faire hocher la tête. 'Off Beats' fait de même avec sa sublime ligne de contrebasse. De son côté, 'Elegant Ruggedness' brille aussi de par ses nombreux breaks de batterie qui donnent naissance à un décor mouvant surmontée d'un soupçon de guitare et surtout de 2 motifs de claviers contradictoires (l'un mélodique et l'autre beaucoup plus grave et heurté). Une belle démonstration du savoir-faire de l'empereur. Adepte des décalages, Kool Akiem découpe et agence en effet ses boucles avec intelligence pour compléter idéalement ses beats, tout en veillant à insérer le petit grain de sable qui vient gripper la belle mécanique. Il donne du coup plus de piment à ses productions en les parant de couleurs singulières (à l'instar de la contrebasse étrange et des violons cinématographiques de 'The Intro' ou encore de la guitare acoustique off-beat d'un 'Ms. Gemini' où surgissent sans prévenir une flûte et une basse). Rien n'est jamais complétement acquis dans les productions d'Akiem et la composition de 'Classic Literal' le montre parfaitement. Oscillant longuement entre un clavier enveloppant au charme déstabilisant et quelques passages de guitare plus angéliques, ce titre changeant et évolutif est la cerise sur le gâteau. Dès lors, même si, par rapport aux précédents albums, la méthode employée ne change pas fondamentalement, la démonstration est tellement magistrale qu'il est impossible de bouder son plaisir. Surtout que, comme souvent par le passé, Akiem complète le tableau en utilisant de nombreux extraits de films savoureux pour lier les morceaux de l'album entre eux et ménager quelques respirations instrumentales intrigantes entre les déluges de rimes assassines d'I Self Divine.

Car, comme toujours, dès que le micro est entre ses mains, I Self Divine attaque l'instrumental avec une passion et une énergie débordantes. Affirmant son leadership, l'assassin met définitivement de côté l'imagerie égyptologigue qui transpirait de "Obelisk Movements" pour livrer des rimes plus que jamais ancrés dans la réalité. Evoquant à de nombreuses reprises sa jeunesse rebelle et les années passées dans le ghetto ('The Origin', 'Heat'), I Self dresse, rageur, un tableau cru de la réalité quotidienne des laissés pour compte de l'Amérique. Sur la basse chaude et le piano jazzy déstructuré de 'Our Universe', il présente l'environnement désespéré et violent qui l'a vu grandir entre drive-by shootings, trafic de drogues, injustices criantes, luttes territoriales puériles ("We holdin' down blocks we don't even own") et ségrégation raciale. Ailleurs, il raconte comment son éveil à la réflexion politique et le hip-hop l'ont probablement sauvé en lui permettant de trouver des vérités et des échappatoires que le système scolaire ne lui proposait pas. Le vibraphone léger et la basse chaloupée du militant 'Neutralize' sont ainsi l'occasion pour lui de raconter sa métamorphose en soldat canalisant son énergie dans la musique. Armé de son flow somptueux, I Self distille donc bon nombre de rimes autobiographiques et de messages engagés servis par des refrains travaillés et accompagnés à l'occasion de quelques rimes de Kool Akiem (une première!). Critique éclairé de son propre pays ('Amerikalogy'), il donne ainsi un sens à son flow intarissable en évoquant par exemple sa découverte du Coran, son besoin de transmettre ses idées ou encore sa rencontre avec la panthère noire Assata Shakur. Largement autobiographique, "The Emperor & The Assassin" est indiscutablement l'album le plus personnel pour I Self. Pour faire passer ses opinions, il n'hésite cependant pas à utiliser la fiction lorsqu'il le faut. Dans cette catégorie storytelling, on ne peut passer outre son duo avec Slug sur 'Steel Toe vs. The Rookie'. Sur un beat martelant le sens de la marche et hanté par une flûte traversière rêveuse, leur face-à-face retrace le parcours d'une jeune recrue policière qui, une fois confronté aux impitoyables réalités d'une brigade aux méthodes peu catholiques et à la bavure facile, se fond dans le système en mettant ses idéaux au placard. Un récit qui fait froid dans le dos. Mais, tout aussi impliqué qu'il soit, I Self sait aussi ménager quelques pauses plus egotrip où il laisse libre cours à son amour des mots. Il n'oublie pas non plus de rendre hommage à ceux qui l'ont soutenu, comme par exemple sa dulcinée qu'il encense sur 'Ms. Gemini'… Autant dire qu'I Self Divine tient l'album de main de maître et impose le respect. Il satisfera tous ses fidèles adeptes avec ce nouvel opus ; son avalanche ininterrompue de rimes en forme de zigzag mental donnant encore plus de relief aux compositions de Kool Akiem.

A l'issue des 75 minutes de "The Emperor & The Assassin", on est forcé de constater que Kool Akiem et I Self Divine ont une fois de plus fait un parcours sans faute. Pour les Micranots, "The Emperor & The Assassin" est donc un pas en avant dans la même direction. Une étape de plus qui les voit poursuivre leur invasion des esprits et distiller leurs pensées révolutionnaires tout en peaufinant leur son avec maestria. Avec ce troisième album mature, maîtrisé, personnel, fédérateur et riche, ils confirment leur importance dans le paysage rapologique actuel. De toute façon et sans aucun doute possible, "The Emperor & The Assassin" est bien un des meilleurs albums de ce début d'année 2004.

Cobalt
Février 2004
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Label: Micranots/Rhymesayers Entertainment
Production: Kool Akiem
Année: Février 2004

01. The Intro
02. Glorious
03. The Origin (feat. Mujaheed)
04. Our Universe
05. Steel Toe vs. The Rookie (feat. Slug)
06. Heat
07. Ms. Gemini
08. Eight Days
09. Amerikalogy
10. One Eye Tilted
11. Elegant Ruggedness
12. Neutralize
13. Violence
14. Off Beats (feat. Malcolm)
15. Classic Literal
16. Out

Best Cuts: 'Neutralize', 'Our Universe', 'Heat'

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