Soso
Tenth Street And Clarence

C'est une honte mais dans ces pages nous n'avions jamais pris le temps de vous parler de Clothes Horse Records. La faute sûrement au peu de promotion entourant la sortie des projets du label canadien, qui nous les fait souvent découvrir plusieurs mois après leur mise en vente. La faute aussi (surtout, à vrai dire) à une distribution plus qu'hasardeuse de cette petite entreprise qui brille pourtant par sa qualité depuis le tout début des années 2000. Avec un roster centré autour de soso, Epic et Recyclone (dont les 2 premiers EP's ont récemment été réédités au sein de l'indispensable "Corroding The Dead World"), CHR ne fait pas beaucoup de bruit mais fait les choses bien. Très bien même. Et soso y est pour quelque chose. Producteur principal et artiste central de cette petite entreprise, proche de l'écurie Peanuts & Corn et de Factor, Troy est parvenu à inscrire définitivement Saskatoon sur la carte du rap canadien. Ce qui n'était pas forcément une mince affaire. Après avoir consacré une grande partie de ses derniers mois à produire le grandiose "Local Only" d'Epic, soso a enfin trouvé le temps de donner suite à ses convaincants "sour suite" et "Birthday Songs". L'occasion où jamais de s'attarder sur le travail de ce emcee-producteur pas comme les autres.

Comme sur "Birthday Songs", il se dégage un charme tout particulier tout au long des compositions de ce "tenth street and clarence". Pourtant, à bien y regarder, il n'y a pas grand chose. Tout au plus, une guitare acoustique ou un piano mélancolique déposés sur une batterie froide, lancinante. Quelques samples vocaux monacaux, un violon glacial ou un orgue funéraire quand le besoin s'en fait sentir. Jamais plus d'une ou deux couches sonores. Mais il n'en faut pas plus pour mettre en place des atmosphères cinématographiques empreintes de tristesse. Du genre qui serre la gorge et touche au cœur. Il suffit de tendre l'oreille sur le premier volet de 'The Goose Hunter' pour en avoir un aperçu. Un vol d'oies, une guitare discrète, une flûte élégiaque, et nous voilà plongés dans un matin de chasse brumeux. A l'écoute de cette composition minimaliste mais envoûtante, on échafaude une multitude de scénarios jusqu'à ce qu'une nappe électronique vienne troubler l'ensemble, montrant que le feu couve sous les braises et la tranquillité apparente.

Troy sait que les émotions les plus fortes trouvent le plus souvent leur source dans les petits détails, dans les silences, et non pas dans les envolées de violons tire-larmes. Alors ses productions se présentent comme des fresques austères et naturalistes aux couleurs automnales qui évoluent par petites touches. Balancement régulier d'une horloge, chants d'oiseaux, grincement d'une balançoire activée par un vent froid : le quotidien s'immisce subrepticement dans le décor. Au fil des titres, les craquements de vinyle omniprésents sonnent comme autant de gouttes de pluies sur une fenêtre. Une fenêtre derrière laquelle on croirait distinguer le regard hagard d'un enfant triste. Le genre d'enfant qui grandit dans des contrées mornes et froides où les années ne servent qu'à ressasser à l'infini les regrets et tous les mauvais souvenirs qu'on voudrait oublier.

"Crust cracked and sore". soso était peut-être cet enfant maladif, au bord de la dépression. En tout cas, il n'en dit pas beaucoup. A peine un couplet ici et là, le strict minimum. Souvent, soso préfère laisser les compositions vivre et parler toutes seules, au lieu de les noyer sous un flot de mots. D'autres fois, sa voix fragile, atone, ne fait son entrée qu'au bout de plusieurs mesures, comme un murmure. Mais chaque mot compte. Moins, c'est plus parfois. soso le sait. Alors les titres sonnent comme des confessions hantés par le deuil, la solitude, les souvenirs d'enfance, les remords, les peurs inavouées. "Talking to an empty room makes me feel even more alone, but it's so quiet and dark I feel compelled… to announce my presence to the unlit corners where who knows what might dwell". Entre une relation amoureuse qui touche à sa fin, et le souvenir d'une amie anorexique ayant mis fin à ses jours pour mieux échapper aux méfaits d'un père incestueux, les textes de soso n'invitent pas franchement à la rigolade. Les textes d'un cœur en hiver, à l'image de l'étrange rythmique de 'Hungover for Three Days' qui résonne comme de sourdes pulsations cardiaques. On pourra toujours reprocher à soso d'insister un peu trop sur le gris et de présenter un tableau très sombre de la vie… N'empêche que dans son genre, soso est un virtuose.

La poésie de ses mélodies et de ses mots atteint son apogée le temps d'un 'Your Skin Brown From The Sun' qui transperce le cœur de part en part. Un piano clair, une basse économe, une batterie hésitante qui vient enjoliver les dernières mesures, ces craquements de vinyle déstabilisants…. et puis un texte vibrant sur un amour au bord de la rupture. "I never felt that this was gonna be forever / You and I know for well this is dependent on whether / or not we can get our shit together / make the commitment and reinvest in a relationship / So many times I felt like saying "fuck it" / If it's gonna be this much work, it hardly seems worth it / And it's not supposed to be work / I can't remember it being this hard […] I wonder if I'm the same man you fell in love with / and where is the girl I used to want to spend my life with ?" Le type de titre qui mouille les yeux et dont on ne ressort pas indemne. Magistral.

Il faudra donc vous y faire, soso est aussi joyeux que Leonard Cohen sous Prozac. Aussi festif qu'une veillée mortuaire, "tenth street and clarence" n'en est pas moins un projet d'une rare densité qui surpasse en qualité tous les précédents essais solo du beatmaker de CHR et qui parvient à s'imposer comme le coup de cœur le plus évident de ces derniers mois. Personnel, original, poignant, évocateur et tout simplement beau; il serait vraiment dommage de passer à côté.

Cobalt
Septembre 2005
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Label: Clothes Horse Records
Production: Soso
Année: Juin 2005

01. The Goose Hunter Pt 1
02. The Goose Hunter Pt 2
03. Finding Out About a Big Pile of Stones
04. Returning to an Empty House
05. Your Skin Brown from the Sun
06. Waiting Under a Wax Paper Sky
07. Washes the Ground
08. Things That Make What a Man Is
09. Confronting Your Mom with a Pipe Up My Sleeve
10. With Morning, Relief
11. Sweet Euphemisms
12. Hungover for Three Days Straight (Don't Matter)

Best Cuts: 'Your Skin Brown From The Sun'; 'Returning To An Empty House'; 'The Goose Hunter Pt. 1'

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