Recyclone & soso
Stagnation And Woe

"Injuries are something to be enjoyed". Pas de doute: Recyclone est de retour. Presque une décennie après ses débuts discographiques au sein d'une scène d'Halifax alors bourgeonnante, l'auteur de "Dead World" trouve enfin une occasion de trouver la reconnaissance qu'il mérite, grâce à son association avec soso. L'an passé déjà, en rééditant les deux premiers EP's de Recyclone sous la forme d'un "Corroding The Dead World" indispensable, soso avait tenu à rappeler le rôle majeur de Jon Hutt dans l'apparition d'une voix canadienne sans réel équivalent au pays de l'oncle Sam... Une voix hors du temps et des modes, qui n'a cessé de nourrir l'éthique irréprochable de CHR depuis sa création.

Une voix qui rappelle par certains aspects celle du Buck de la période "Vertex"… Mais celle d'un Buck qui se serait fait le chantre de l'affliction, débordé d'obsessions morbides et d'une fascination étrange pour un futur dévasté. Un Buck doté d'un phrasé conversationnel, proche de la confession, qui semble crouler sous le poids des états d'âme et d'un monde qui le rebute. Un phrasé mis entièrement au service d'une plume magique qui décrit comme nulle autre cet horizon gris et déshumanisé, pas si fantasmé que ça, où une armée de robots erre sans but, comme anesthésiée par la peur.

Dans ce monde qui marche sur la tête, le spectre de la Grande Faucheuse est dans toutes les têtes. La mort est là, omniprésente, dans toute son horreur, mais aussi dans toute sa beauté. Corps inanimés, cadavres en lambeaux : les grands édifices dont se parent les civilisations ne sauraient cacher la froideur animale et les pulsions destructrices de ses dirigeants. "This dead realm gives birth to huge mechanical structures that blossom from earth like weeds / As the sky bleeds shrapnel rain, spellbound infernos nail home rivet guns to reign supreme".

Alors armé de textes parsemés de flashes et d'images fortes, Recyclone s'interroge à haute voix (mais sans moralisme) sur le cours de choses. Il décrit pêle-mêle l'aliénation de ses congénères, le règne de l'artificiel et plus que tout, le côté profondément pathétique d'un genre humain obnubilé par l'argent, le sexe et l'amour à la demande. Un genre humain qui n'aspire plus qu'à une beauté de papier glacé et à un conformisme bien-pensant. Un genre qui le révulse et l'intrigue à la fois. "The whole world is a trash can / Nothing's free. Master plan. Doom soon […] We've given up our freedom without regret". Certes, le tableau n'a rien de bien réjouissant et seul le nerveux 'The Introduction' vient apporter une touche d'espoir (en fin de course), mais l'ensemble parvient toutefois à nous tenir en haleine… pour peu qu'on soit sensible aux élucubrations nihilistes de Recyclone.

Il faut dire que soso n'est pas pour rien dans cette réussite. Pour mieux se fondre dans l'univers de Recyclone, l'architecte sonore de CHR a en effet su ajouter quelques ingrédients de saison à sa mixture habituelle. L'illustration sonore choisie par l'auteur de "Birthday Songs" comporte tous les éléments typiques du minimalisme hivernal qui est devenu sa marque de fabrique: ces pianos magnifiquement tristes, ces rythmiques maladives, ces guitares mornes, ces violoncelles qui font frissonner… Pourtant, quelque chose a changé. Derrière les craquements de vinyle, on distingue ainsi le martèlement de l'acier, le bruit d'une presse hydraulique et le cliquetis immuable des machines. Autant d'éléments qui dressent des ponts avec les travaux de Sixtoo qui ornaient (entre autres) les premiers essais de Recyclone. En outre, pour mieux jouer avec nos nerfs et accentuer l'impression d'un monde au bord du gouffre, soso joue avec les silences, les fait durer (parfois un peu trop, avouons-le, notamment sur 'Trash Culture'). Tous ces éléments mis bout à bout semblent agir comme des révélateurs des fissures qui commencent à se propager sous la surface un peu trop lisse d'une société qui ne cherche plus qu'à sauver les apparences. Des révélateurs qui donnent encore plus de force à l'écriture graphique de Recyclone.

Recyclone annonce la couleur sans détour à tous ceux qui feuilletteront avec attention les liner notes de ce "Stagnation And Woe" : "This album is for rainy days and sleepless nights". Pourtant, même en ce début d'été, ce nouvel opus du canadien parvient à se frayer un chemin jusqu'à notre platine sans aucun problème. Sinistre mais fascinante, l'alliance entre soso et Recyclone tient en effet ses promesses (à quelques baisses de régime près) et s'impose comme un des rares projets incontournables de ces derniers mois. Si l'on en croit les dires de Recyclone sur 'The Introduction', ce mini-album est peut-être la dernière occasion de l'entendre dans cette incarnation toute en noirceur et en désespoir sublimé. En attendant la suite, vous savez ce qu'il vous reste à faire.

Cobalt
Juin 2006
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Label: Clothes Horse Records
Production: soso
Année: Avril 2006

01. Gearbox Therapy
02. The Earltown Hermit
03. Episodes Of Constant Torture
04. Trash Culture
05. Body Parts
06. Ghosts
07. The Introduction (feat. Squig, DP, Wall Flower, Adam Harling & EMC)

Best Cuts: 'Episodes Of Constant Torture', 'Gearbox Therapy', 'Ghosts'

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