3582
Situational Ethics

Leaders de la déferlante en provenance de l'Ohio qui avait inondé le hip-hop voici quelques années, les Lone Catalysts et Five Deez ont, depuis, su séduire un public large et fidèle. Si leurs approches de la musique sont objectivement assez différentes lorsqu'on compare leurs discographies respectives (le classicisme jazzy des Lone Cats ayant somme toute peu à voir avec les excursions métissées des Five Deez), il est bien connu que les 2 têtes pensantes de ces groupes, J.Rawls et Fat Jon, ont noué depuis le lycée des liens forts qu'ils ont voulu concrétiser par un projet commun d'envergure. Désormais fermement ancrés dans l'inconscient collectif après une nuée d'albums solo remarqués (les plus récents étant respectivement les brillants "Histories Greatest Battles, Campaigns & Topics" et "Lightweight Heavy") qui les ont imposé comme des poids lourds de l'underground, il était temps que le duo fasse les choses en grand. Après le EP d'introduction "The Living Soul" qui avait vu les compères mêler leurs univers sans frontière claire l'an passé, le timing était parfait pour sortir un essai longue durée." Situational Ethics" marque un retour au concept de départ du groupe. En conséquence, on a le droit ici à un solo de Fat Jon au micro produit quasi-intégralement par J.Rawls. Si "The Living Soul" nous avait permis de passer un bon moment, il est indéniable qu'il n'a pas non plus laissé un souvenir impérissable, du fait de productions en deçà du potentiel de ses géniteurs. 3582 se devait donc d'affiner sa recette et d'effacer les imperfections de sa première copie pour répondre à nos attentes démesurées…

Disons-le d'emblée : l'album ne parvient malheureusement que trop rarement à relever ce défi malgré sa courte durée (45 minutes). Pourtant, les points positifs sont nombreux. Sorte de guide décousu des relations homme-femme modernes dévoilant par bribes la personnalité de Fat Jon, "Situational Ethics" marque des points par son approche originale. A l'image de cette ode aux e-mails et à l'amour virtuel 'The E' qui voit Fat Jon nous détailler le chassé-croisé des messages amoureux qui participent de cette séduction à distance qu'il semble tant apprécier. Un thème inédit et bien amené qui ouvre l'album magnifiquement grâce à une basse épaisse et à une boucle de violon gracieuse dont le charme subtil colle idéalement à l'attitude de gentleman mise en avant dans le texte. On apprécie aussi quand J.Rawls vient donner un peu de voix et que le duo fantasme sur la belle plante inaccessible 'Vanessa From Venezuela' ou lorsque Jason dépoussière un vibraphone et une flûte traversière pour mettre en musique la piquante lettre ouverte de Fat Jon au petit ami ingrat d'une de ses conquêtes 'Loser Type'. Briseur de cœur avoué ('Bad As They Come'), adepte des soirées arrosées ('Take It To The Face'), Fat Jon se fait aussi plus profond avec l'intime 'I Would Change'. Sur une guitare mélancolique du meilleur cru, il avoue que sa passion pour la musique prend souvent le pas sur sa vie privée. A travers cette chanson en forme d'explication / excuse / déclaration d'amour, il montre intelligemment les failles du personnage de Don Juan fêtard qu'il s'est construit tout au long de l'album et nous donne un aperçu de son dévouement à la musique. Le tout servi par son flow direct et attachant (à défaut d'être technique). Choisissant de mettre l'accent sur les textes, abordant les sujets sous de nouveaux angles et préférant le fond à la forme, Fat Jon réussit souvent à nous surprendre et donne une vraie cohérence à l'album en y déposant son empreinte.

Mais les bémols à apporter sont trop nombreux pour qu'on s'extasie devant ce projet. L'approche jazzy minimaliste de la production affectionnée par J.Rawls atteint en effet trop souvent ses limites dès que les boucles ne sont pas assez tranchantes pour nous tenir en haleine pendant 4 minutes. Alors que J.Rawls était parvenu à éviter cet écueil sur "Histories Greatest Battles, Campaigns & Topics "en injectant du sens dans chacune de ses compositions, il n'y parvient pas totalement ici (un comble). S'enfermant dans une routine rodée et (trop) confortable, il laisse souvent tourner ses samples à vide, ne leur apportant que trop peu de modifications ou de suppléments pour que l'on soit pleinement satisfait. La guitare acoustique de 'Look At You' sonne ainsi bien esseulée malgré ses quelques variations. Les cuivres caressants de 'Bad As They Come' apparaissent, eux, posés de manière assez aléatoire sur une rythmique mal assortie. On aurait vraiment aimé assister plus souvent à l'introduction d'instruments live comme cette flûte qui traverse joliment 'Outcome' et qui vient donner du corps à la production de Jason en rompant avec des codes parfois trop statiques. D'autre part, J.Rawls tend encore une fois à mixer ses samples trop en retrait par rapport à ses plans rythmiques enlevant par la même beaucoup du plaisir d'écoute et ternissant l'éclat des sons. A force de filtres, 'Take It To The Face' perd ainsi tout relief et paraît d'une platitude surprenante. Dès lors, on oscille constamment entre de franches réussites et des instrus beaucoup plus quelconques… et, globalement, J.Rawls ne remplit pas vraiment sa part du contrat.

Dès lors, la quasi-absence de Fat Jon aux manettes se fait sentir sur la longueur… et on pourrait le regretter. Mais, en même temps, les 2 prestations de ce dernier s'avèrent moins incisives que prévues. Certes, son remix de 'Bad As They Come' est infiniment supérieur à l'original et sa structure changeante fait plaisir au milieu de la linéarité ambiante. Quelques notes de guitares expressionnistes posées sur des violons symphoniques; une basse enveloppante qui entre en cours de route pour donner de l'épaisseur à l'ensemble; des violons perçants pour le refrain: la mixture est goûtue… Mais, elle sonne un peu trop calculée et manque de spontanéité ou d'émotion. Et la réinterprétation assez terne de 'The E' n'arrive pas non plus à s'incruster dans l'esprit. Alors, même une présence plus accrue de l'ample soul physician à la production n'aurait pas forcément changé la donne.

On émet donc l'hypothèse que c'est peut-être la nature même de cette alliance qui est à remettre en cause. Moins aventureux lorsqu'ils sont ensemble, mais aussi moins renversants, Fat Jon et J.Rawls ont beau être amis, on les préfère nettement chacun de leur côté. Alors que Fat Jon vient de nous faire grimacer avec l'inégal "Kinkynasti" de Five Deez et que la réunion des Lone Catalysts pour de la "Good Music" est repoussée à l'horizon 2004, ce trop sage "Situational Ethics" déçoit forcément un peu (malgré quelques coups d'éclat). Très similaire dans la forme à "The Living Soul" et loin d'être mauvais, ce nouvel opus satisfera probablement les inconditionnels absolus du duo mais il risque fort de laisser sur la faim tous ceux qui en attendent des surprises, du génie ou même un réel mélange des styles.

Cobalt
Octobre 2003
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Label: Hum Drums / Groove Attack
Production: J.Rawls The Living Vibe, Fat Jon The Ample Soul Physician
Année: Octobre 2003

01. Intro
02. The E
03. Look At You
04. Loser Type
05. Take It To The Face
06. I Would Change
07. Bad As They Come
08. Vanessa From Venezuela
09. Outro
* Outcome [Hidden Track]
10. The E (Remix)
11. Bad As They Come (Remix)

Best Cuts: 'The E', 'I Would Change', 'Bad As They Come (Remix)'

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