Heureusement pour nous, le rap français nous réserve encore quelques bonnes surprises de temps à autre. L'Exécuteur de Hong-Kong en est une. Surgi de nulle part, ce rapper hors du commun avait déjà fait parler de lui dans certains cercles, accompagné du producteur Mag, grâce à quelques démos plus qu'enthousiasmantes enregistrées sous le pseudonyme de Persona Non Grata. On attendait donc avec impatience de voir ce que donnerait le premier jet officiel du duo. Un changement de nom plus loin et voilà donc que l'Exécuteur de Hong-Kong et Mag nous offrent leur premier EP sur la toute nouvelle structure Genou Système.
4 titres. C'est peu mais en même temps bien assez pour se rendre compte que L'Exécuteur de Hong-Kong sort vraiment de l'ordinaire, en proposant un univers lyrical jusqu'ici inédit dans le paysage français. Adepte du second degré, L'Exécuteur se démarque par des textes décalés mâtinés de quelques touches d'argot parigot délicieux. Jouant avec les sonorités et les sens par le biais d'allitérations et de métaphores filées bien trouvées, tout en parvenant à garder une réelle spontanéité, il imprime sa personnalité jusqu'au plus profond des sillons de ce EP. Le responsable des basses œuvres des triades présente ici deux facettes complémentaires au fil des titres, entre autodérision totale et sombres pensées. De son flow direct et sans fard, il ouvre ainsi les hostilités par un anti-egotrip poussé à l'extrême et ponctué de punchlines imparables qui marquent d'entrée sa différence (
"Je sors d'une boîte de sardine échouée dans une poubelle / et mon haleine sent les coins sombres d'une ruelle"). Avec ses références inattendues (
"Invincible comme Jean Lefebvre et Darry Cowl réunis"), L'Exécuteur ne laissera personne indifférent et partagera sûrement les avis… Certains trouveront d'ailleurs sûrement son phrasé trop linéaire. Pour notre part, on se délectera du portrait de loser hilarant que dresse L'Exécuteur à grand renfort de phases chocs. Le festif 'Don Diego de la Aziz', avec sa production rentre-dedans bien ficelée, s'inscrit aussi dans la même veine comme son introduction surréaliste le laisse rapidement deviner (mais ce titre reste néanmoins le plus décousu de ce premier essai).
Comme évoqué plus haut, à côté de ces titres teintés d'humour, L'Exécuteur présente sur le reste du EP un visage beaucoup plus sombre (et plus à même de faire l'unanimité). Le froid 'Cosa Nostra' porte ainsi un regard acide et clinique sur les rêves brisées, la solitude et les incertitudes qui abondent dans ce monde à la dérive où les repères disparaissent un à un et où
"des gens bossent durs toute leur vie pour que dalle / et ne peuvent même pas se payer leur pierre tombale" . Avec ce texte honnête et cru, L'Exécuteur fait preuve d'un authentique sens de l'écriture servi par une plume affûtée. Mais le meilleur moment de ce 4 titres reste '"Ciel Rouge"' (qui brillait déjà sur les démos de Persona Non Grata). Avec son clavier glacé aux résonances intrigantes, sa ligne de basse oppressante, ses sonorités futuristes et ses scratches efficaces, la production de Mag capte tout de suite l'attention. Sur ce paysage sonore de désolation, L'Exécuteur de Hong-Kong livre un texte noir à la beauté poétique, rempli de visions urbaines apocalyptiques qui dessinent un futur triste et cruellement présent (
"Alimentés bientôt que par des pilules / On vit comme des fourmis, on pullule. / On s'agite dans les stades; on est tous champions / Mais dans l'obscurité on cherche nos lampions").
Sur ce titre et au fil du EP, incontestablement maître de son sujet, Mag fait preuve de talents variés. [On saluera à ce propos l'initiative d'avoir inclus des versions instrumentales de la majorité des titres.] Mêlant intelligemment samples et portions jouées, Mag montre qu'il sait coller au mieux aux ambiances requises par les textes de son partenaire. Ainsi, la guitare tout en reverb, les percus vocales discrètes, le piano minimaliste surgissant à l'improviste et les "faux scratches de DJ Donbi" amènent la touche subtilement hors champ demandée par '"La Valse du Mariole"'. A l'opposé du spectre, la basse épaisse jouée au clavier et le piano sombre de 'Cosa Nostra' mettent bien en relief le texte crépusculaire de L'Exécuteur. Parsemant ses productions de détails savoureux, travaillant ses rythmiques (écoutez à ce sujet le bonus beat qui conclut le EP), Mag ne révolutionne pas le genre mais il démontre un savoir-faire plutôt rare de ce côté-ci de l'Atlantique. Il s'impose donc comme un allié de poids sachant mettre en valeur L'Exécuteur en toute circonstance.
Nouveau personnage à part, L'Exécuteur crée du coup sa propre niche dans le paysage français avec ce "E.P." en forme d'ovni prometteur. Original, insaisissable, inclassable, talentueux et impitoyable : L'Exécuteur de Hong-Kong est ainsi. Dommage pour ses victimes! Alors que vous pourrez le retrouver (ainsi que Mag) dans quelques jours avec le très bon 'Octobre 2002' sur l'ultime session de la série "Maximum Boycott", L'Exécuteur de Hong-Kong laisse en tout cas l'empreinte toute fraîche de ses mocassins neufs sur ce début d'année avec une première salve originale et maîtrisée qui l'inscrit sans mal dans nos cahiers à la rubrique "A Suivre".
Cobalt Janvier 2004