Comme si les sentences et les coups de semonce affligés jusqu'ici n'avaient pas suffi, 6 des laborantins hip hop les plus intéressants de l'hexagone se sont retrouvés lors d'un banquet de hip hop exigeant et ont enfanté un disque-ovni. Première livraison d'Institubes, ce buffet des anciens élèves était attendu comme une confirmation de l'opportunisme payant et du talent des protagonistes.
Tout au long des 43 minutes qui composent cette nouvelle mouture, on oscille allégrement et sans rechigner entre hits efficaces et burlesques ('Le Hip Hop C'est Mon Pote'), skits hilarants ('Collier De Nouilles'), expérimentations sonores audacieuses et bruyantes ('Acapellas Et Cathedrals'), morceaux intimistes et ambiances ténébreuses. Le patchwork ainsi tissé a tout pour aguicher l'auditeur pointilleux. Les artificiers Fuzati, Cyanure, Tekilatex et Delleck éliminent les concurrents par des phases meurtrières et érudites débitées par des flows didactiques avec musicalité et technique. Les évidentes potentialités de ces carabiniers fusionnent avec le travail des ingénieurs sonores embauchés pour le chantier ; en bons terroristes, Tacteel et Para One (Fuck A Loop) épaulés par James Delleck et même Tekilatex (Bean Bogs), viennent justifier leur réputation en signant des instrumentaux criminels érigeant un solide viaduc entre Electronica Harsh et rugueuse ('Acapellas Et Cathedrals') et hip hop avant-gardiste.
Rescapé d'ATK, Cyanure resurgit avec la manière, balayant détracteurs et wack mc's à grand coup de syllabes imbriquées les unes aux autres ('La Fête De La Musique'). Fuzati, quant à lui, ne s'éloigne qu'épisodiquement de sa thématique de prédilection, entre dépression chronique, humour 'desprogien' et figures de styles ('Je Pense Cependant Qu'on Approche'). James Delleck - chargé du mix et de la réalisation d'une bonne partie des morceaux - rivalise de métaphores judicieuses et de messages subliminaux lorsqu'il joue du micro ('Ne Sois Pas Triste'), et Tekilatex - tiers de TTC - se délecte des méthodes propres au surréalisme d'un André Breton (Automatisme Lyrique, Cadavres Exquis…) et révèle des qualités indéniables de MC ('La Fête De La Musique').
'Sans Fin' s'impose en morceau irréprochable, l'un des tous meilleurs du hip hop français, indubitablement. Chacun des intervenants pousse son art à son paroxysme pour un assortiment d'humour sordide, de noirceur outrancière, de phases hallucinantes et d'anecdotes intimistes déposé sur un instrumental inquiétant. (
J'ai 8 ans, je me dis que quand je serai grand je me vengerai, malheureusement le cancer l'a eue avant moi, c'est bien fait… // Qu'est ce que tu as dessiné aujourd'hui ? J'ai dessiné un bâton. Un bâton qui provient du parc auquel tu avais promis de m'accompagner aujourd'hui… je retiens).
Au final, l'album tant attendu de L'Atelier - sorti tardivement après moult déconvenues - est un grand disque dont la constance et l'homogénéité devrait assurer la pérennité. Seuls l'intermède poétique de Fuzati ('La Fille A Cinq Sous') et le format du disque sont reprochables mais, en aucun cas, ces deux points d'ombre ne peuvent nous empêcher de hisser "Buffet Des Anciens Elèves" au niveau de "Ceci N'est Pas Un Disque", "Asphalte Hurlante" et "Cadavre Exquis". Merci messieurs, longue vie à Institubes.
Institubes : Tacteel, Tekilatex, OrioG et Aaron Krickstein.
Kreme Juin 2003