Depuis 1995, la structure De Brazza Records grandit dans l'ombre et prépare en souterrain son assaut sur un marché français désormais bien morne. Trouvant ses sources discographiques dans les premiers projets des Deblë Men, De Brazza a surtout fait monter le buzz avec sa série de cassettes "Fuck le Maximum Boycott" mettant en avant les rouages véreux des médias hip-hop français et levant le voile au passage sur tout un pan de la scène française jusque là injustement ignoré. Alors que les mois passés ont confirmé la pertinence des artistes mis en avant par De Brazza, la compilation "Maximum Boycott" permet enfin d'exposer à un public plus large un panel d'artistes talentueux et évoluant loin des clichés propres au rap français.
La première chose qui fait plaisir à voir, c'est la variété des provenances géographiques des protagonistes de "Maximum Boycott" et bien entendu la qualité des prestations de chacun. D'Annecy à Toulouse en passant par Grenoble, Paris ou un Bordeaux très bien représenté, "Maximum Boycott" nous permet de voir la vigueur de toute une nouvelle vague underground entrevue sur la mix-tape "Virus". Au lieu de se mettre des œillères et de rester centré sur un quartier ou une ville, De Brazza a eu l'esprit ouvert et a bien compris que le talent n'avait pas de frontières… et qu'il n'était définitivement pas confiné à l'axe Paris-Marseille. Qu'il était notamment très bien distribué à Bordeaux au travers d'une scène totalement libérée et ambitieuse au niveau sonore. On pense à Booba Boobsa qui aligne de son flow marquant les allitérations et les assonances sur une production caressante de DJ Steady. Ou à D'Oz qui signe, avec l'évocation d'un détenu nouvellement libéré qui trouve la réinsertion difficile une fois confronté aux dures réalités d'un monde en décrépitude, un texte mémorable que Drixxxé (Triptik) met en musique de belle manière ('L'Inconnu'). Le pamphlet contre les manipulations médiatiques dont il se fend avec ses collègues de Kroniker ('Mensonges' et sa ligne de flûte millésimée) confirme la bonne santé des administrés du sinistre créateur de la maison bleue et tout le bien qu'on pense du groupe. Partiellement girondins, Hustla sont aussi au rendez-vous pour l'hymne au hip-hop 'Pratikan' porté par un clavier aérien et pour le toujours fracassant et épileptique 'Micropointe' (extrait de leur EP "Sonophrologie" qui nous a conquis). D'autres bordelais sont aussi à saluer mais…
La vraie claque de cet album provient cependant d'un parisien : Sept. En 2 titres, il donne raison à ceux qui l'annonçaient comme la prochaine étoile du rap français. Armé de textes denses, d'une plume acerbe et finement aiguisée, d'un vocabulaire riche et d'une maturité déjà évidente, il impose son 'Issue Ultime' comme le meilleur titre de "Maximum Boycott". Faisant le sombre état des lieux du monde et des esprits de France entre repli communautariste et ostracisme ambiants, il livre là un titre intransigeant idéalement soutenu par un breakbeat lourd et quelques notes de flûtes de Kilab. Son alliance avec Grems (d'Hustla) sur le très engagé et évolutif 'Electrodes' s'écoute comme un assaut contre les méfaits du néolibéralisme et marque des points précieux. Des points qui se sont par ailleurs depuis transformés en un premier album remarquable "Amnésie" (lui aussi disponible sur De Brazza). En dehors des noms cités, on retiendra aussi dans des styles très différents les talents de Dyslexie, Bunzen, La Ménagerie ou Big Brothers qui laissent tous une impression très favorable suite à leurs apparitions respectives.
Si "Maximum Boycott" pêche un peu, c'est par son choix d'adopter une durée marathonienne de 78 minutes. En effet, il est évident qu'au milieu des 22 titres disponibles on constate une évidente hétérogénéité et que certains morceaux de la seconde moitié de la compilation (moins captivants ou brillants que les autres) n'arrivent pas vraiment à garder notre attention et font un peu baisser la tension. S'il faut donner des noms, les titres de Dazélik, Lord Nikko et d'Al Peco & Sashem semblent hors de propos et ne s'intègrent pas du tout au contenu musical et/ou textuel du reste de la compilation. En dehors de ces temps morts, "Maximum Boycott" occupe clairement le haut du panier des compilations de rap français en ouvrant la voie à un réel renouveau national, en présentant aussi des producteurs de talent (Steady, Sir-Yu, Kilab, El Ness, Cyclone…) et en donnant une tribune à des artistes adeptes d'un hip-hop non pas "inspiré de" mais tout simplement inspiré… Un hip-hop qui aurait enfin renoncé à copier les grands frères américains pour trouver sa propre identité musicale et lyricale sans tomber dans les clichés racailleux faciles. Parce qu'elle met en avant des artistes de cette trempe, "Maximum Boycott" s'impose comme une compilation incontournable et une des aventures les plus intéressantes que nous ait offert la scène française depuis des lustres.
Cobalt Juin 2003