Qu'il semble bien loin, le temps où les membres de Global Phlowtations, collectif tout droit issu des sous-sols de Los Angeles, se réunissaient chez Zagu Brown, l'un d'entre eux, pour coucher sur piste leurs premières aventures musicales qui formeraient par la suite cet étrange "Phlowtation Devices Vol. 1". Un son lo-fi, angoissant et dépourvu d'une once d'optimisme, le tout martelé par les flows hors-normes des rappeurs. La noirceur condensée en 12 morceaux crados mais prometteurs. C'était en 1997. Depuis, les choses n'ont pas beaucoup changé pour la majeure partie des protagonistes.
Un rapide coup d'oeil suffit pour faire le tour de la question : Zagu Brown, Imiuswi, Ambush et Okito ont tous plus ou moins disparu de la circulation. Orko Tha Sykotic Alien entretient cet héritage du CD-R perpétuel ; comme emprisonné dans un cycle dont il ne semble plus capable de s'extraire (en témoigne le projet avorté de "Forbidden Physics" l'année dernière sur One Cell Records). Pour certains, les choses ont un peu mieux tourné. Si l'on attend toujours une suite au très bon "5th Ave" de Sach en 2004, celui que l'on appelait alors Adlib (a.k.a. Thavius Beck) est le seul à être parvenu à s'extirper des aléas des petites sorties sans ambition pour se forger une vraie carrière prometteuse. Parmi ceux-là, Inoe Oner possède un statut particulier.
S'il n'en restait qu'un, ce serait lui. Celui qui synthétise encore aujourd'hui de la meilleure des façons l'identité particulière du son "G-Pac". Comme le veut la tradition, Inoe n'a toujours juré que par les sorties officieuses, gravées à la va-vite sur une poignée de CD-R distribués de manière plus que confidentielle. D'authentiques symboles de ce que fut Global Phlowtations : un talent réel qui ne parviendrait jamais à percer au grand jour. Alors que le collectif semble avoir totalement péricilité depuis 2003 à la faveur des "carrières" solos des uns et des autres, Inoe s'agrippe fermement au flambeau et nous proposait en avril dernier le dernier produit tout droit issu de ses pérégrinations personnelles. Un "Obese God" qui voit le jour dans le feutré, sans effusions.
Pourtant, depuis la compilation "Stray Bullets" sortie en 2004 (un condensé de morceaux réalisés durant la pèriode 1997-98), l'absence complète d'un signal de vie en provenance d'Inoe aurait suffi à aiguiser l'appétit des fans du rappeur angelino. Si ce n'est cette apparition furtive en 2006 au côté de Sach formant le duo Name Science pour un énième CD-R de fort bonne facture, "Obese God" vient combler le vide sidéral laissé par des années d'inactivité musicale sur sillons. A tel point que les quinze morceaux rassemblés pour ce nouveau LP nous ramènent des années en arrière. Six ou sept ans, à peine.
Pourtant, en 2008, Inoe Oner n'est plus cet espoir d'un Los Angeles agité par un renouveau musical excitant et prometteur. Il s'est transformé en un fantôme du début de la décennie, trainant derrière lui les très bons "Da Goverment's Greatest Hits" et "Millenium Conductor". Inévitablement, "Obese God" s'abreuve aux mêmes sources qui ont fait l'identité sonore du rappeur/producteur. Des ambiances sombres, tour à tour anxiogènes ou percutées par des beats nerveux saturés de guitares. Un flow hâché, sans emphase, dépourvu d'une quelconque envie d'éblouir par une technique tape-à-l'oeil ('Grahix'). Aux manettes pour la moitié des productions de l'album, Inoe fait tourner cette formule si particulière composée tour à tour de gimmicks entêtants (le roulement de tambour sur 'Stylist'), de rythmes reggae ('Citi Burn', 'Future Sins') et de déferlements de batteries déchainées ('Bad Seed', 'Middle Finger').
Toujours sans une ligne directrice précise, Inoe démultiplie ses appendices occulaires pour observer dans toutes les directions en même temps. Qu'importe les fioritures, la musique parle pour elle-même et ne se satisfait pas d'un programme pré-établi. Au détour de chaque morceau, le décor évolue mais semble conserver une même idée qui ne saurait tromper l'inconditionnel du rappeur. Qu'il évolue aux côtés de Thavius Beck sur le très bon 'Instanity In My Soul' ou qu'il se borne à répéter inlassablement la même phrase sur un combo batterie/guitare/basse fiévreux cyclique qui semble ne jamais terminer ce morceau charnière 'Middle Finger', comme au bord du précipice durant une éternité avant de basculer dans la seconde moitié de l'album.
Quel plaisir de retrouver Inoe Oner dans tout ce qui fait son personnage. Cette voix de stentor qui véhicule un humour récurrent toujours accompagné de ce troisième ou quatrième degré qui finit par perdre l'auditeur et flouter davantage la frontière entre sérieux et caricature. La vérité se situe sûrement quelque part entre un 'Lovers Lulli Bye', la mise en scène qui ouvre 'Stylist' et le refrain prophétique proféré comme une doxa sur 'Bad Seed'.
Au-travers de cet "Obese God", Inoe ouvre une légère brèche dans l'espace-temps pour en faire jaillir tout ce qu'il était au début des années 2000. Au final, une négation du chemin parcouru remplacé par la satisfaction de perpétuer ce qui constitue l'identité "G-Pac" : un son lo-fi peuplé de propos étranges et décalés. Tous les éléments semblent réunis pour inviter les retardataires à faire, en compagnie d'Inoe, le voyage en sens inverse et découvrir une des parties les plus anonymes de cette fourmillante scène de Los Angeles. Face à ceux qui semblent courir sans cesse après la prochaine évolution de ce qu'ils ne sont pas encore, Inoe répond, imperturbable, par une sortie toute en assurance et sans artifices. Un exemple de régularité qui doit être salué en tant que volonté de perpétuer un héritage collectif qu'il semble assumer presque seul aujourd'hui, sereinement. Rendez-vous dans deux ans pour le prochain CD-R.
Newton Juin 2008
A l'image du peu de bruit autour de ce type de sorties quasi-anonymes, l'album est plutôt difficile à dénicher. Il est néanmoins disponible via Access qui, comme à son habitude, continue de sonder cet "under-underground" pour faire remonter à la surface de sombres sorties qui valent le détour. C'est par
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