"C'était jamais fini, on les a toujours attendu" : ainsi résonne l'un des témoignages anonymes ponctuant un album plutôt tonitruant d'ATK titré "Silence Radio". Ils partirent vingt-et-un, et sans un prompt renfort ils se retrouvèrent cinq en arrivant au port (douze ans plus tard). A propos d'ATK, on est obligé d'évoquer l'aura réelle laissée par leur "Heptagone" de 1998, au fort goût de reviens-y. A la suite de ce haut fait d'armes, les larrons ont commis un vrai-faux retour en forme d'apnée, une suroxygénation de trois mixes qui aura laissé bien des fans sur leur faim. Nouvelle pause, puis, l'an passé, c'est avec bonheur que l'on retrouvait Cyanure et Fredy K via le "Klub Des 7" de Fuzati. Reformés aujourd'hui sans Antilop S.A. ni Tacteel, les ATK continuent d'habiter les endroits parisiens qu'ils scandaient jadis en "fils du 19", du marché Riquet anti-hype aux passerelles aériennes de Stalingrad, le long du bassin de la Villette, à l'ombre des orgues de Flandre. S'ils reviennent si tard, on apprend bientôt que c'est parce qu'ils ont "choisi l'attente".
Une attente dont on voit le résultat dans des thèmes plus réfléchis, dits avec une distance plus grande, mais une ferveur inchangée. 'Contre Vents Et Marées', et son piano vitaminé à la boîte à rythme (signé Axis), entame le disque par une explication collective de la démarche : ces amis ne souhaitent pas changer pour changer. Ils n'ont pas envie d'anticiper les modes, pas de velléités d'être des
trendsetters. Tacteel a choisi TTC et son camp pailleté, son côté de la ligne blanche.
"On écrit des poèmes pleins de vers à cité" dit quant à lui Freko, dont 'J'Fais Du Bruit' est la profession de foi, alternative intéressante entre un Sefyu qui cliquette et un Joey Starr claquant son fric.
"Depuis la maternelle mes potes se sont faits sans couleurs / A l'heure de la maturité, les mêmes s'insultent avec douleur" confie pour sa part Cyanure, qui confirme son statut d'éternel
rookie of the year du rap hexagonal. Avec 'Ils Versent Un Sourire', le talentueux emcee binoclard pose une larme nacrée dans le creux d'un écrin : celui que lui offre Axis via une entêtante boucle de piano rehaussée de cordes à la Craig Armstrong. Avec justesse, tout en retenue, Cyan évoque la solitude et les doutes qui accompagnent le vertige de la création. Pour clôre l'album, dans 'Avant La Tombe' (Axis, encore) le groupe au complet se fera grave et touchant, fort loin des démonstrations vues ailleurs et dignes des cours de récré :
"Ce qui nous attend avant la tombe, c'est la colère du monde / C'est les bruits aigris et les cris, c'est la douleur du nombre".
Malheureusement, tous les titres ne sont pas aussi inspirés. Certains souffrent beaucoup d'un vieux gimmick du rap français consistant à émailler toute la longueur d'un morceau des noms de ses artisans. D'autres se montrent vite assez poussifs. A leur décharge, la loyauté et la persévérance sont des sujets rebattus qui n'offrent pas facilement la possibilité d'être mordant. Côté musical, on déplore aussi des creux : ainsi les cordes de 'Elle S'Inquiète' sont frustrantes et un sample cinglant est dramatiquement perdu dans le tunnel de 'Une Journée De Plus'. Les productions qui emportent le morceau sont plutôt à chercher du côté de couples guitares / clavier radieux ('Des Maux') ou d'alliances cloches / violoncelle brumeuses ('Les Plombs').
Avec 'Cérébral', les ATK remixent Daniel Balavoine dans un hommage rappé à une certaine époque de la variétoche. Avec cet album attendu et inégal, ils ne réinventent pas la poudre et ils l'assument. Ils prolongent leur vision d'une musique urbaine qu'ils préfèrent voir évoluer à leurs côtés. Queen, Starmania et le Wu-Tang : références d'enfance adolescente retraitées dans des vies d'adultes. De "avoue qu'tu kiffes" à "dévoile ta délectation", il y a le vaste monde, une friche que les cinq compères gagnent à arpenter encore et encore. On sera là, promis.
Billyjack Juin 2007