Thes One
Lifestyle Marketing

Plus qu'un simple album instrumental, "Lifestyle Marketing" est avant tout un voyage dans le temps, en cela qu'il participe à la perpétuation d'un héritage musical vieux de plusieurs décennies. Une rencontre entre une musique d'aujourd'hui et une vision d'hier.

Tout débute dans les années 60. Herb Pilhofer, musicien de jazz d'origine allemande et basé à Minneapolis, décide de se lancer dans la création de son propre studio d'enregistrement. L'installant dans un premier temps chez lui dés 1969, ce qui deviendra par la suite le Studio 80 prend petit à petit de l'ampleur et va développer, entre autres, une activité commerciale jusqu'alors très peu pratiquée: l'enregistrement de jingles commerciaux (pour le moins travaillés) au moyen d'un matériel digital qui, peu à peu, s'enracine dans la production musicale au travers du pays. C'est l'époque des 4-tracks, des premières touches d'électroniques dans la musique grand public et de l'utilisation des premiers synthétiseurs Moog; pratique au travers de laquelle le Studio 80 va faire figure de pionnier. Une petite révolution musicale en ce qu'elle inclut des éléments tout à fait modernes dans la production d'oeuvres destinées ni plus ni moins qu'à un usage strictement commercial (jingles radios principalement). Pour boucler la boucle, une partie de ces jingles réalisés par Herb Pilhofer fut alors rassemblée et pressée sur des vinyles qui donnèrent naissance à deux volumes baptisés "Music That Works", outils promotionnels luxueux pour le studio suscité.

Effectuons un bond dans le temps pour nous retrouver en 1994. Christopher Portugal, celui qui deviendra par la suite Thes One et la moitié de People Under The Stairs aux côtés de Double K, en visite familiale dans le Minnesota fait une rencontre impromptue. C'est au travers d'un exemplaire de "Music That Works" qu'il va entrer en contact avancé et musical avec les productions de Herb Pilhofer. Un amas de jingles entassés sur quelques sillons. De son propre aveu: "a compilation of commercials that defied the traditional format of the jingle by incorporating, amongst other things, unusual electronic instrumentation and broad, emotive soundscapes". Obnibulé par ces quelques pépites au potentiel musical accrocheur, le jeune Thes One se voit alors propulsé mentalement dans cette Amérique des années 70: "a relic from an outpost of a forgotten America".

Neuf ans s'écoulent alors et voient éclore People Under The Stairs, groupe propulsé sur le devant de la scène underground américaine avec son troisième album "O.S.T". C'est la même année que Thes One, devenu alors un méticuleux collectionneur de matériel sonore en tout genre, décide de franchir le pas et commence à remixer avec applications les jingles découverts plusieurs années auparavant. Ce projet va accompagner Thes One jusqu'à ce que le dernier album du groupe, "Stepfather", voit le jour dans le courant du mois d'avril de l'année passée. C'est alors que "Lifestyle Marketing", jusqu'alors simple projet parallèle est repris en main par Thes One.

Exclusivement instrumental, l'album se présente comme un travail musical tout particulier pour deux raisons principales. De prime abord, la matière brute qui va servir à l'élaboration de ce "Lifestyle Marketing" est assez inhabituelle: un agrégat disparate de jingles de consistance différente ; certains n'excédant pas la quinzaine de secondes. Délaissant les boucles élaborées au moyen d'une énorme discothèque de samples extraits de grands classiques de soul ou de funk, ce sont ces extraits sonores utilisés comme une propagande musicale qui vont être à leur tour retouchés, découpés, assemblés pour donner naissance à une matière sonore différente.

Plus encore, ne disposant pas des masters des morceaux originaux nécessaires à l'élaboration de ce "Lifestyle Marketing", Thes One fait fi de cet obstacle et décide de se restreindre à l'emploi uniquement des jingles contenus sur les deux volumes de "Music That Works". Un exercice complexe qui nécessite un savoir-faire en matière de sampling en tous genres.

Découpant des morceaux de jingles, Thes One recrée alors un univers sonore parfois tout à fait différent du milieu musical duquel les samples ont été extirpés. C'est le cas, entre autres, de 'Northwestern Bell', fruit d'un accouplement de deux morceaux originaux composés par Herb Pilhofer (l'un pour une compagnie de téléphone, l'autre pour un groupe banquier). Le producteur isole une voix féminine qui ne cesse de répéter "get on the phone" et s'affaire à récupérer une partie instrumentale des deux morceaux. La suite du travail ne fait que retrouver le chemin classique et une façon de procéder familière pour celui qui connaît les sorties des P.U.T.S. Entre les mains de Thes, le sample est alors filtré de différentes façons et une rythmique est recréée pour l'occasion afin de coller avec exactitude aux standards rythmiques du rap moderne. Pour enrichir le tout, des lignes de basse enregistrées par Ethan 'Headnodic' Parsonage (bassiste repéré pour son travail auprès des Crown City Rockers pour l'album "Earthtones" en 2004) viennent saupoudrer le tout qui est finalement savamment mixé et arrangé par Thes One. Les compositions de Thes One sont donc à l'avenant d'un point de vue formel... mais un charme indéniable s'en dégage. Herb Pilhofer n'y est pas pour rien.

Or, puisque Tres Records a bien fait les choses, nous voilà en possession d'un second CD bonus regroupant les compositions psyché jazz-funk de Herb Pilhofer utilisés comme ingrédient de base de ce "Lifestyle Marketing". C'est alors un véritable jeu de piste que de parvenir à suivre le parcours de Thes One, défricheur pour nous de ces morceaux de très bonnes factures nous replongeant dans l'esprit musical des années 70. Qui parviendra à déceler un riff de guitare, une voix samplée et pitchée, des notes de synthés ou tout autre témoignage sonore en provenance directe du Studio 80? Deux faces d'un même travail musical.

L'exercice est particulier et ne se présente pas sans son lot de difficultés. Au premier rang desquelles, parvenir à présenter un travail utilisant avec parcimonie les jingles sans ne jamais trop en mettre (comme pour bourrer le morceau de références musicales) et être capable de recréer, à partir d'un univers particulier, une nouvelle dimension musicale.

Indéniablement, le premier objectif est atteint. Les compositions originelles d'Herb Pilhofer sont très riches, fourmillent de détails et d'inventions sonores bien particulières. Thes One a été capable de faire un tri intéressant dans ce qui lui était proposé pour n'en faire ressortir que le nécessaire. Pourtant, on ne peut s'empêcher par moment de penser que le producteur a souffert d'un petit manque d'imagination. Ne sachant comment utiliser de la meilleure des façons ce qui était à sa disposition, il a parfois décidé de ne conserver que le strict minimum (souvent des samples de voix et quelques éléments musicaux légers par endroits) pour confectionner ses propres morceaux ('Gbx Malt Liquor'). Ainsi, certains morceaux de ce "Lifestyle Marketing" manquent d'un peu de cette folie musicale dont l'essence est sûrement difficile à capter tant elle est volatile.

Manifestement, nous nous devons d'être plus mesurés pour le second objectif avéré. La faute, peut-être, aux rythmes composés par Thes One, qui ne sont pas toujours à la hauteur du reste du morceau. Comme si l'habillage recelait un écrin de moindre qualité. Tel est le constat sur 'Grain Belt Beer' où l'auditeur est accompagné, durant 2 minutes 24, par un rythme de batterie identique du début à la fin. A ce niveau, les variations ne sont pas légions et, afin d'éviter le sur-place, l'évolution au sein même du morceau ne doit son salut qu'à un intelligent travail sur les samples choisis (ou les filtres) ainsi qu'à la présence de lignes de basses tout à fait appropriées.

Ainsi, ce "Lifestyle Marketing" est un album instrumental au caractère bien trempé et tout à fait singulier. Prouesse indéniablement due, en partie, aux choix effectués par Thes One. Sortant des sentiers battus des sacro-saints morceaux samplés des dizaines de fois, il fait montre d'une grande curiosité musicale et parvient, sans effort, à la transmettre aux auditeurs intrigués par la découverte d'un milieu musical sûrement méconnu.

Qui plus est, si l'approche pratique aurait mérité un soin au moins aussi grand que sa confection théorique mûrie pendant de longues années, les morceaux proposés se révèlent tout de même de très bonne qualité et n'auraient pas souffert d'un traitement un peu plus inventif afin de les faire sortir un peu d'un cadre rythmique dans lesquels ils semblent s'enfermer de prime abord. Mais l'album prend du volume au fil des écoutes et c'est avec ravissement que l'on découvre ici un crossover entre deux mondes n'ayant en commun que l'amour de la musique.

Une jonction entre deux musiciens à l'image de ce que devrait plus souvent être la musique: une rencontre entre les Hommes.

Newton
Avril 2007

P.S.: En bonus, une interview de Herb Pilohffer par Thes One présente dans le livret de la version CD de l'album a été mise en ligne sur le site de Tres Records à l'adresse suivante: www.tresrecords.com.
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Label: Tres Records
Production: Thes One
Année: Mars 2007

01. Gate City Savings And Loan
02. Northwestern Bell
03. Target
04. Hy-Vee
05. F&F Daily C
06. Hart Ski
07. Grain Belt Beer
08. Bobcat
09. Cheetah
10. GBX Malt Liquor
11. Crystal Sugar
12. Northwestern Bell 2
13. Pan-Am 1
14. Pan-Am 2
15. Outro

Best Cuts: 'Northwestern Bell 2', 'Target', 'Cheetah'

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