Après avoir usurpé son identité au monstre King Geedorah et avant de nous revenir pour un inespéré troisième album de KMD ("Mental Illness"), l'incontournable et inépuisable MF Doom a endossé le costume du scientifique Viktor Vaughn (un personnage énigmatique, fils d'artisan Zimbabwéen et friand d'expérimentations paranormales) pour nous pondre un énième projet, fruit d'une schizophrénie diagnostiquée. Parmi la multitude des sorties annoncées par le géniteur d'"Operation : Doomsday" - pour cette année 2003 - ce "Vaudeville Villain" attirait l'attention par sa particularité ; MF Doom a en effet confié l'urbanisme sonore du successeur de "Take Me To Your Leader" à une équipe de producteurs-architectes salariés du label Sound Ink (qui du même coup édite l'album). C'est donc à Max Bill, King Honey et Heat Sensor que revient la lourde tâche de contenter les fans assidus du Metalface, accoutumés à ses productions originales. Loin d'être d'illustres inconnus, les concepteurs qui composent cette belle équipe nous avaient déjà intrigué et satisfait sur l'excellente compilation "Colapsus", la première sortie estampillée Sound Ink records, livrée en 2001.
La découverte - il y a quelques semaines - du premier maxi de Viktor Vaughn nous avait très vite fait comprendre que l'étiquette "Drum n' Bass" collée par Doom lui-même à ce produit, l'avait été sous l'effet de la drogue. La première face de ce 12'' éclaireur révélait le fantastique 'Rae Dawn', instrumenté par Heat Sensor (qui eût joué jadis de la machine à son aux cotés des renommés Antipop et Mike Ladd) et interprété par un "Super Villain" en grande forme, autant à son aise sur cette composition complexe et "prefusienne" que sur ses propres beats. Construit sur le même schéma que le single susmentionné, 'Modern Day Mugging' n'en demeure pas moins une composition de très bonne facture, un beat évolutif orné de sonorités électroniques inédites et idéalement amenées.
Le duel au sommet célébré sur le bien nommé 'Never Dead' est très certainement le meilleur moment du LP. Nous devions nous attendre à une rencontre explosive entre l'ancien KMD et la tête pensante de feu APC, mais Sayiid et Doom nous offrent beaucoup plus que ça. Le flow/ogive du premier prend d'assaut le beat ronflant de 'Heat Sensor' dès ses premières mesures, le second lui rendant la pareille, plus incisif que jamais. On en redemande.
Autre paire remarquée, celle formée par le maître des lieux et Apani B (rappelez vous de 'Disorientation' et 'Verses' sur les deux œuvres majeures d'Antipop). 'Let Me Watch' est une love song atypique (
"you're 20 minutes late and almost miss me'[…]'I miss you everytime i hear a love song' puis 'I'd rather masturbate to fuck with Vik Vaughn'…) déposée sur une séduisante ligne de piano offerte par King Honey (à qui l'on doit l'excellent 'Monday Night At Fluid' featuring Kurious et MF Doom). La rappeuse des Polyrhythm Addicts justifie et honore l'invitation par la qualité de sa prestation microphonique (qui a dit qu'elle faisait de l'ombre à MF Doom ?).
Au rayon des guests également, le Defjukie RJD2 était convié à la fête et recruté pour la confection de 'Saliva' ; étonnamment, la production desservie par le Deadringer révèle des relents "doomiens" évidents, toutefois l'instrumental manque de saveur et semble ne pas coller à l'ambiance globale du disque. Les deux dernières plages de "Vaudeville Villain" sont le dénouement idéal d'un disque remarquable en plus d'un point. D'abord l'ingénieux et saturé 'GMC' (concocté par Max Bill) et ses excentricités warpiennes, ses distorsions surprenantes et ce beat minimaliste. Puis, l'invraisemblable 'Change The Beat', bonus track indispensable à la qualité de l'album. (Un orage violent pendant plus de 3 minutes puis une succession de 5 instrumentaux sur lesquels rebondissent une à une les mines déposées par ce mc génial qu'est MF Doom).
Tout au long du disque, Doom brille par son aisance au micro et sa facilité à s'identifier aux ambiances, si inattendues soient-elles. On se délecte à déchiffrer les punchlines (
… 'make them gel like Asics'...), à constater les nombreuses variations de flows ('Change The Beat' en est l'exemple le plus probant) et on découvre surtout le bonhomme sur un terrain qu'on croyait ne pas lui convenir. Mettant en scène de véritables saynètes cinématographiques sur chaque plage, le versatile MF Doom s'approprie complètement le matériel sonore mis à sa disposition (en y insérant notamment ses fameux samples) et fait de ce "Vaudeville Villain" un ixième coup de maître.
MF Doom est sans nul doute l'un des artistes les plus doués et les plus surprenants de sa génération et Sound Ink pourrait devenir le Def Jux que Def Jux n'a jamais été (…) - le Ep annoncé du monstre Sayiid ("Outside The Box") ne devrait pas nous contredire.
Kreme Août 2003