RJD2 + Blueprint. Il y a 4 ans, du temps du superbe "Unlimited EP", la juxtaposition de ces deux noms suffisait à nous donner des frissons partout. Désormais, la donne est un peu différente. Depuis "Since We Last Spoke", RJD2 a perdu le souffle qui avait fait de lui l'un des producteurs les plus en vue des années 2001-2003. Las, RJD2 accumule les projets sans intérêt (se reporter à "Magnificent City" pour plus de preuves) et cachetonne sans conviction, en alignant les productions sans inspiration… De son côté, si son cas n'est pas aussi critique, Blueprint n'est pas non plus dans une très bonne passe. L'an passé, il nous a déçu pour la première fois depuis bien longtemps à l'occasion du dernier Greenhouse Effect. Gorgé de prods basiques, de rimes périmées, de reprises inutiles et de techniques dénuées de la moindre trace d'audace, "Columbus or Bust" continue de faire pâle figure à côté de "Celestial Clockwork" ou "Chamber Music".
Mais Blueprint a la peau dure. Lui qui a quitté son job du jour au lendemain pour dédier tout son temps à la musique n'est pas près de rendre les armes à la première baisse de régime. Une réunion avec RJ s'imposait.
"This ain't about fame, fortune and pretty women […] We got what really counts : friendship". En effet, si l'amitié entre les deux hommes ne date pas d'hier, sa traduction en musique a systématiquement permis à chacun des deux partis de révéler de nouvelles facettes de son talent… A écouter le banger 'Things Go Better', tous les voyants sont au vert pour Soul Position. Porté par une production aux petits oignons (flûte traversière entêtante, violons tourbillonnants et tension sous-jacente), Blueprint revient sur leurs doutes, les épreuves traversées et la reconnaissance rencontrée en chemin, pour mieux annoncer que le duo a décidé de lancer toutes ses billes dans la musique. Ca tombe plutôt bien, vu les circonstances.
"No slogans / No 20" rims rollin' […] No MTV cribs / No crib at all".
Alors, comme pour montrer sa détermination, RJD2 sort de sa musette ses meilleures compositions de ces derniers mois. Du lumineux et enjoué 'Priceless' aux cuivres rutilants du single 'Hand-Me Downs' en passant par la basse rebondie (à la Earl Klugh) de 'Keep It Hot For Daddy' ou le riff de guitare percutant de 'I'm Free', il se rappelle aux bons souvenirs de sa brève période dorée. Privilégiant au départ les boucles efficaces et les compositions identifiées, il parvient ensuite à varier les rythmes pour mettre sur pied un décor sonore varié et engageant. Pour autant, il évite soigneusement d'occuper trop l'espace (comme ce fut le cas sur "Magnificent City") et sait rester en retrait quand il le faut, à l'instar de la production tout en retenue du bien nommé 'No Gimmicks'… Comme quoi, l'expérience porte ses fruits. Pour être complet, il faut néanmoins avouer que RJ dispose aussi sur son étal quelques compositions au goût un peu trop édulcoré ou rance (c'est selon). Entre un 'The Extra Mile' qui tape vite sur les nerfs et un 'I Need My Minutes' qui ne dépasse pas le statut d'exercice de style double time un peu vain, le ventre mou de l'album fait ainsi retomber la tension pendant une poignée de titres avant que 'Keys' ne remette les choses à plat une bonne fois pour toutes.
'Keys'. Un soupçon de guitare sèche légère, quelques cuivres confortables, une nappe crépusculaires et nous voilà plongés dans un décor de roman noir à l'ancienne, où les ruelles sont forcément sombres et où le pire est inéluctable… Profitant de l'aubaine, Blueprint emprunte la plume de Donald Goines et ferait presque passer son récit d'engrenage implacable aboutissant à un meurtre tristement banal pour celui d'un crime (presque) parfait. Son sens de la mise en scène et ses descriptions minutieuses nous plongent en effet au cœur de cette intrigue jusqu'à son dénouement. De quoi démontrer une bonne fois pour toutes que Print a sacrément évolué depuis les premiers pas de Greenhouse Effect et les open mics de sa jeunesse…
Au fur et à mesure que les plages de cette nouvelle livraison défilent, un constat d'un autre ordre se fait jour: "1988" n'aura pas été qu'une parenthèse dans la carrière de Printmatic. De fait, ce nouvel opus semble toujours marqué par une approche
back to the basics mais aussi par l'héritage multiple du golden age, zigzaguant constamment (au risque de s'y perdre parfois) entre arrogance crâneuse, second degré et réflexions sociales pleines d'à-propos.
"If you let the TV define what Black is / You think ice and violence is all we think that matters / I guess this is what happens when rappers look up to thugs and kids look up to rappers".
Critiquant sans détour une communauté noire qui tombe souvent dans l'auto-caricature au travers de ses propres médias, s'interrogeant sur l'héritage laissée par la génération hip-hop, sortant les griffes contre le consumérisme ambiant, Blueprint se montre plus déterminé que jamais à mettre les pieds dans le plat d'un pays en manque de repères.
"Freedom in America is all about consumption / You ain't free unless you get out there and buy something / More spending, more taxes / More money for our military actions". Touché. S'il ne parvient pas toujours à éviter le piège du moralisme (comme le ton paternaliste et la conclusion un peu douteuse de la descente aux enfers 'Drugs, Sex, Alcohol, Rock-n-Roll' en attestent), le boss de Weightless vise souvent juste, bien aidé en cela par son style vif et son sens des punchlines. Ce même sens des mots lui permet par ailleurs de se fendre de quelques récits plein d'humour et d'autodérision, souvent centrés sur ses relations chaotiques avec les femmes… Comme sur "1988" quoi. On ne s'en plaindra pas.
En effet, en mélangeant assez habilement le punch et l'énergie du "Unlimited EP" avec l'introspection et la nuance de "8 Million Stories", Blueprint et RJ réussissent ici à imposer une vraie personnalité et à confirmer le bien-fondé de leur alliance. Parfois laborieux mais le plus souvent emballant, "Things Go Better with RJ and Al" est après tout un opus de qualité, qui sait rester facile d'accès… Même s'il manque assurément d'audace et ne surprend pas autant que ses deux prédécesseurs, ce solide projet permet au duo de se remettre en selle après ses récents déboires discographiques. Reste maintenant à voir ce que leur futur réserve aux deux amis. Quoi qu'il en soit, aucun doute pour le présent :
"Things go better now".
Cobalt Avril 2006