Pas moins de six printemps séparent le fantasmagorique "Endtroducing" de ce second véritable album du seigneur Shadow. Intronisé maître d'un hip-hop "abstrait" teinté de trip-hop dont lui seul a véritablement la maîtrise, l'éternel fouineur de crates, accessoirement génial turntablist et producteur incontournable a su, avec une unique galette déposée en 1996, s'imposer comme un artiste essentiel. Pendant ces interminables mois d'absence discographique (en solo), et hormis divers projets avec la structure Quannum et les artistes gravitant autour de Jurassic 5 (pour faire court), l'artiste s'est fait discret, préparant probablement un ricochet à la hauteur de nos espérances justifiées par l'excellence de son premier fait d'arme.
Les auditeurs qu'"Endtroducing" avait amené jusqu'à l'exaltation, restaient donc impuissants et impatients, se contentant de quelques productions éparpillées, de sporadiques bootlegs et de projets divers (citons parmi d'autres les "Ultimate Lessons" en compagnie de Cut Chemist, Numark, Double Dee, Steinsky et "Pre Emptive Strike", compilant d'anciens singles…). Voici donc cet espéré "The Private Press" au visuel inspirant l'abstraction et suscitant l'interrogation (les fans les plus tenaces auront certainement insérer le disque avant toute analyse de l'artwork).
Une introduction épistolaire ('Letter From Home') au sample crade, puis on rentre de plein fouet dans cet opus avec 'Fixed Income' qui donne déjà tort au scepticisme ambiant. La patte de Shadow est discernable et on se délecte d'entendre des mélodies aussi bien amenées et des rythmiques aussi séduisantes. Puis, 'Un Autre Introduction', aux allures de breakbeat-disco-kitch (désolé), en français s'il vous plait ! Ceux qui croyaient sortir indemnes de la nouvelle entreprise de DJ Shadow abandonneront l'idée dès les premières secondes de 'Giving Up The Ghost', premier instant féerique de "The Private Press", bijou d'Abstract hip hop, merveilleusement inspiré.
Au tracklisting, ne figurent que deux morceaux "chantés", logiquement les plus abordables - mais néanmoins admirables. Shadow démontre une fois de plus qu'il sait où chercher des samples avec 'Six Days' (dont un remix avec Mos Def est disponible en maxi) et 'Blood On The Motorway', le second distançant de loin le premier ; un morceau gargantuesque. Lancinant. Mortuaire. Alliant new-wave audacieuse et psychédélisme… le meilleur moment de l'album, sans aucun doute. Un break improbable de 10 secondes et un sample de voix sorti de nulle part pour un dénouement des plus funèbres. Neuf minutes d'intensité et de génie.
L'éclectisme déroutant s'illustre par des expérimentations "mécanico-électroniques" ('Monosyllabik'), des influences rock et folk clairement affichées ('You Can't Go Home Again'), ou des performances scratchées ('Walkie Talkie').
"The Private Press" achève la passerelle édifiée par "Endtroducing" - disque ultime que le temps n'altère pas - et confirme que l'œuvre tout entière de Josh Davis est digne des plus grands musiciens. Cette dernière salve aura su se faire désirer mais elle se dresse comme un aboutissement et s'impose comme une des toutes meilleures pièces de l'année 2002.
Kreme Avril 2003