Il s'était fait attendre : 4 ans... 4 ans après avoir frappé le petit monde du hip hop d'un grand coup de marteau avec le désormais mythique "Opération : Doomsday", album brut parsemé de grosses boucles de soul résonnant inlassablement dans les têtes, Metal Fingers sort enfin de son sommeil. Autant dire que l'enjeu est de taille. Cette fois-ci sur la structure anglaise Big Dada s'annonçant cette année comme le label de référence en matière de hiphop indépendant (talonné de très près par son compatriote Lex Records), le plus mystérieux des mc's new-yorkais quitte ses quartiers de Brooklyn pour revêtir un nouveau masque, celui du King Geedorah, en référence au monstre à trois têtes de la saga Godzilla déjà entraperçu sur l'album des Monsta Island Czars.
1er volet de la flopée de projets distribués par Doom - en attendant l'album de Viktor Vaughn et sa collaboration avec le californien Madlib - ce "Take Me To Your Leader" jongle entre créations sonores totalement inédites et utilisation d'instrumentaux jusqu'ici emboîtés dans les 3 volets des Special Herbs parus antérieurement. C'est alors sur ce dernier point que le bât blesse, sûrement le seul défaut majeur de cet album. On reconnaît aisément et en quelques secondes l'origine de certains morceaux, ainsi 'Next Levels' bénéficie par exemple du beat de 'Arrow Root' paru sur le premier "Special Herbs" sorti il y a de ça 2 ans. On se demande alors si ce bon vieux Doom est un beat maker très flemmard ou si son choix de limiter la prise de risque vise à ne pas déstabiliser l'auditeur assidu et passionné d'"Operation : Doomsday".
Peu importe finalement. Aussi fainéant soit-il, MF Doom reste MF Doom, et sa dernière toile sur Big Dada ne faillit pas à la règle. Tantôts apocalyptiques comme sur 'No Snakes Alive' et sa rythmique désarticulée (les oreilles attentives auront reconnus le morceau éponyme paru sur le "MF Ep") tantôt imprégnées d'une ambiance feutrée incrustée dans les années 70 à l'image des très bon 'One Smart Nigger' ou encore 'Fastlane' (sur lequel rappe un certain Biolante qui n'est autre que Kurious), les édifices musicaux du King Geedorah se veulent riches, imaginatifs et fouillés. On navigue alors allègrement entre la légèreté de 'Fazers' (nous confortant que pour ce qui est de faire tourner une même boucle sublime sur la longueur d'un morceau, Metalface est bel et bien le maître incontestable), en passant par les questions existentielles de l'intéressé sur le faramineux 'I Wonder' et ses violons aptes à faire pleurer les b-boys du monde entier, pour enfin terminer sur les télescopages déstructurés du beat de 'The Fine Print' auquel s'allie la résonance des trompettes amorçant les dernières notes de cet opus dans un festival sonore tel un empereur quittant son arène.
Finalement plus dans la continuité d'"Operation : Doomsday" qu'un réel concurrent, les années diront si à l'instar de son prédécesseur "Take Me To Your Leader" fait partie de ses albums intemporels qui se bonifient au fil des écoutes. Epatant, poignant, jouissif, émouvant… la liste de superlatifs pourrait s'étaler sur des pages entières tant "Take Me To Your Leader" dont les sommets retenus restent 'I Wonder', 'Fazers', 'One Smart Nigger' ou encore 'The Fine Print' est une franche réussite renforçant un peu plus notre inclinaison devant le supervillain masqué. Sans contexte un très grand coup du bonhomme et par la même de Big Dada.
Metalik Juin 2003