Hustla
Sonophrologie

"Le rap français me plonge dans la lassitude". Cette petite phrase de Grems résumait bien mes sentiments plus que partagés sur la scène française de ce début de millénaire. Comme beaucoup, déçu par les clichés racailleux dans lesquels la majorité semble empêtrée pour l'éternité mais aussi par la plupart des représentants de la nouvelle vague spé, je me désintéressais un peu plus chaque jour des produits de notre terroir et les chances de rémission de notre emceeing national me semblaient bien maigres. Cependant, "Paris-Bordeaux-Vitry" (le premier EP d'Hustla) et quelques autres sorties (TTC, Kroniker...) avaient déjà montré que l'espoir n'était pas mort et qu'en souterrain certains groupes développaient des identités inédites et s'apprêtaient à laisser leur empreinte sur leur époque une fois la maturité venue... L'heure tant attendue du grand réveil arrive peut-être enfin. Avec "Sonophrologie", leur nouvelle livraison 10 titres, Grems, Le Jouage, 325i et DJ Steady insufflent une bouffée d'air salvatrice qui a de quoi satisfaire tous les publics amateurs d'un hip-hop exigeant. Derrière le superbe artwork réalisé par Grems se cache un EP marquant à bien des égards.

Tout d'abord par les personnalités variées et la complémentarité des 2 emcees d'Hustla. Comme ils l'annoncent : "C'est de l'art, c'est 2 là… C'est Hustla". Leur alchimie apparaît clairement sur les quelques titres qu'ils ont en commun (peu nombreux du fait de leur éloignement géographique)… et chacun mérite en soi le détour. Avec son humour et son autodérision, Grems s'affirme comme un des emcees les plus doués de sa génération. Capable d'écrire des textes cohérents mais bourrés de hip-hop quotables et de pointes d'humour avec une aisance rare, il peut cracher sa haine à la face de forces de l'ordre un peu zélées sur 'Micropolis' puis écrire un 'Microbe' métaphorique tout simplement renversant. Derrière l'imagerie bactériologique délirante, Supermicro (aka Grems) se fend d'un titre sujet à des interprétations multiples que l'on peut voir comme le portrait d'un loser coupé du monde et irrémédiablement inadapté à la vie se fondant dans la société pour mieux la parasiter. Un morceau sublime porté aux nues par l'instru oppressant et inquiétant de Jey. Outre ces talents d'écriture évidents, que dire du flow expressif et naturel à la fois de Grems sinon qu'il fait des merveilles à chaque couplet…

La complexité des rimes et des flows d'un Megafor (aka Le Jouage) qui se montre plus présent au micro que par le passé marque aussi des points et donne lieu à de grands moments ('Au milieu chante les sirènes'). Petit bémol cependant : voyageant dans les confins de son esprit, Megafor nous perd quelques fois en route lorsque ses rimes se font trop alambiqués ou labyrinthiques pour qu'on les apprécie pleinement… C'est clairement lorsque Megafor se lâche totalement qu'il nous donne le meilleur de lui-même. Comme sur 'Eponyme' (où les 2 emcees peignent leur autoportrait par touches impressionnistes) ou évidemment sur son face-à-face fantasmagorique avec Tekilatex de TTC : le futur classique (?) 'I Need Hero'. Là, sur une prod violente de L'Arseine (proche de James Delleck) au parfum de musique de jeu vidéo eighties du meilleur effet, Le Jouage enfile son costume de super héros pour livrer une guerre "biomanesque" sans merci au monstre Teki (même si en fait "ils sont copains"). Une joute verbale qui à n'en pas douter restera dans les annales.

Le Jouage montre d'autre part qu'il est un producteur dont le nom est à retenir grâce aux 4 productions qui lui sont allouées. Amateur des beats chaotiques, des sons évolutifs et du concassage de rythmiques à la El-P, passé maître dans l'art d'un minimalisme rugueux (beat en avant juste surmonté de quelques nappes de claviers atmosphériques ou des notes de guitare de Jpd), il a du talent et ne s'embarrasse pas d'apparats superficiels. Il préfère aller à l'essentiel : une brutalité industrielle des rythmes contrabalancée par quelques touches plus légères ; pour dessiner les contours de l'identité sonore du groupe. Néanmoins, on pourrait objecter que cette identité reste encore assez floue du fait de la diversité des apports… Sans que cela nuise pour autant au résultat final. Bien au contraire. Outre les participations évoquées plus haut, on saluera alors DJ Steady qui livre une 'Intro' caressante au xylophone irrésistible et un 'Micropolis' plus funky (en attendant la sortie de son "Fonkdamental")… mais aussi Dr Fudge qui accélère les bpm pour un 'Micropointe' saccadé et futuriste où Dr Slang (aka 325i) s'en donne à cœur joie aux platines et où D'Oz (Kroniker) et Grems se renvoient la balle avec un plaisir palpable. La palette de sons obtenues est à l'image des flows et des thèmes abordés : diverse, originale, équilibrée et toujours intéressante.

Sans être totalement parfait (le titre d'Olympe Mountain en fin de disque manque de relief par exemple), "Sonophrologie" est donc une sortie à la fois enthousiasmante et rassurante qui montre, même aux plus dubitatifs, qu'il existe encore sur notre territoire des groupes capables de susciter en nous l'excitation et de dynamiter les codes antédiluviens du rap made in France pour l'emmener plus loin, sans forcément le tirer vers les Etats-Unis. C'est tout à l'honneur d'Hustla. Pour résumer, ne passez pas à côté de cet EP de haute qualité sorti chez De Brazza. Hustla ira loin…

Cobalt
Mai 2003
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Label: Autoproduction
Production: Le Jouage, Steady, Jey, L'Arseine, Dr Fudge, Microbe & Prof Remo
Cuts: Dr Slang
Année: 2002

01. Intro
02. Jpd
03. Micropolis
04. I Need Hero (feat. Tekilatex)
05. ?
06. Eponyme
07. Microbe
08. Au milieu chante les sirènes
09. Micropointe (feat. D'Oz)
10. Outro (feat. Sept, Rodd, Boobaboobsa & Rhaptaman)

Best Cuts: 'Microbe', 'I Need Hero', 'Micropointe'

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