Personne ne connaît encore Tenshun, si ce n'est quelques amateurs de westcoast zélés que l'on peut croiser sur l'oiseau bleu les soirs de pleine lune, et la paire de curieux qui a acheté sans trop y réfléchir ses premiers 45 tours sur Access Hip-Hop il y a 2-3 ans de cela. Seules informations disponibles : le DJ/beatmaker est originaire de San Diego et passe un peu trop de temps dans sa cave à compter les gouttes qui s'échappent de la tuyauterie rouillée alors que ses petits copains DJ's dirt hustle joyeusement au soleil une glace à la main. Ca c'est aussi ce qui risque de vous arriver si vous écoutez "Sloth" en entier sans tricher.Ca fait peur comme ça, hein?
Et pour cause, la musique dont il s'agit ici parlera plus aux amateurs d'indus, d'abstract hip hop gouffresque, voire à certains turntablists déviants qu'aux amateurs de p-funk. Jon Calzo se revendique d'ailleurs autant de Q-Bert que de John Cage. Voilà. Amis de l'abstraction, vous voilà prévenus. Entrez, vous allez adorer. Resituons tant qu'à faire ce disque dans son contexte spatio-temporel : après deux 45 tours, notre homme s'emballe et sort coup sur coup un troisième vinyle, un EP CD, un album commun avec le mc Stuntdouble et ce premier opus solo "Sloth" (le mal nommé).
Au programme, 19 beats qui tournent pour la plupart autour des 2 minutes. Toutes placées sous le signe de la saturation et de la claustrophobie, les compositions sont en majorité des digressions sur la même formule : gros breaks de batteries enregistrés sursaturés puis ralentis sur lesquels Tenshun appose des thèmes de cordes, d'énormes basses ou contrebasses, d'excellents scratches ravageurs et des nappes de bruits sourds. Le tout donne un résultat malsain, urbain, assourdissant, mais qui évite de tomber dans les travers lourdingues de ces exercices hip hop indus qui sombrent souvent dans l'indigeste (beats saturés qui n'en finissent pas, mc's exagérément linéaires). Ici, on pense parfois à DJ Signify, ou dans une moindre mesure à Techno Animal ou Scorn; sans que la filiation ne sombre jamais dans le plagiat.
On a même le droit à quelques moments touchés par la grâce, comme la puissante entrée en matière qui déploie l'armement lourd (à basse de rythmique rentre-dedans et de scratches furieux), le huitième titre (Imaginez le beat d'Angel de Massive Attack amplifié et sur lequel on aurait collé un riff discret de trompette et un magnifique thème de piano) ou bien encore un impressionnant exercice de turntablism sur la dix-septième plage.
Même si Tenshun fait tout son possible pour garder l'auditeur avec lui pendant les trois quarts d'heure du disque, il est parfois difficile à suivre, tant le minimalisme et la froideur de "Sloth" met à mal le moral de l'auditeur et semble prendre un malin plaisir à le pousser à bout. Ainsi s'il n'évite pas quelques beats un peu creux vers la fin de l'album, Tenshun a le mérite de nous avoir tenu en haleine jusque-là avec une formule très épurée. Soyons francs cependant, "Sloth" est un album relativement difficile d'accès qui ne s'adresse qu'à un public restreint amateur de pratiques auditives SM… Mais si le hip hop indus est votre truc, voilà probablement votre découverte de l'année.
Pseudzero Janvier 2006