Après avoir mis sous le feu des projecteurs son talentueux producteur maison Meaty Ogre avec "Leo Vs. Pisces", Galapagos 4 continue sur sa lancée en nous faisant découvrir à nouveau un de ses soldats les plus discrets, en la personne du emcee Robust. S'il apparaîtra probablement comme un newbie aux yeux de beaucoup (compte tenu qu'il n'a rejoint le label chicagoan que récemment), Robust a d'ores et déjà un CV plutôt conséquent. Après avoir arpenté l'underground de la Windy City pendant des années et avoir fricoté un temps avec les Molemen, Robust a non seulement gagné le respect de ses concitoyens mais a aussi sous le bras un premier album "Freelance Gynecologist" sorti en indépendant en 2000 et une apparition remarquée aux côtés de Sage Francis sur "Still Sick… Urine Trouble". Pas étonnant que G4, toujours à l'affût des bons plans, lui ait donc offert l'opportunité d'intégrer ses rangs suite à sa participation au maxi 'Flibbertigibbit' de Meaty Ogre. Quelques mois de travail plus tard, c'est donc sur Galapagos 4 que Robust présente son second album "Potholes In Our Molecules".
S'éloignant des egotrips qui ont fait sa réputation, Robust dévoile ici une facette beaucoup plus introspective et sombre de sa personnalité. S'il garde encore de la place pour les punchlines et les images décalées, il met clairement l'emphase sur des textes plus personnels. Grand bien lui en a pris ! De son flow créatif, expressif et maîtrisé, Robust livre en effet des textes à la poésie abstraite qui jonglent virtuosement bien avec les images, les concepts et les métaphores. Changeant mais toujours spontané, à la fois joueur et intime, son phrasé reste clair et intelligible même lors de ses quelques acrobaties flowistiques. Entre autoportraits, réflexions mordantes et idées tordues, Robust dresse au gré des morceaux un tableau de ses obsessions et de ses pensées. Entre espoir et pessimisme, il se place en observateur cynique du présent, de la destruction méthodique de la Terre par l'Homme ou encore de ses propres imperfections… s'aventurant souvent dans les paradis artificiels (comme il l'avoue sur les 3 mouvements de l'évolutif 'Artificially Bitterweet'). Rebondissant de punchline en punchline dans ses moments les plus euphoriques (comme lorsqu'il se lance dans un 'Deflated Egos' en forme de veillée mortuaire pour les wacks), Robust ne fait jamais dans la surenchère et sait trouver le ton juste. Lorsqu'il évoque ses failles et sa vision maussade de notre monde (à l'instar du sublimement triste 'Shoot The Bullfighter' où il lâche:
"There's no chance to even save this place"), il parvient parfaitement à faire passer les émotions qui l'habitent. Ne vous fiez donc surtout pas à l'impression en demi-teinte qu'avait pu laisser 'Flibbertigibbit'. Seul au micro sur quasiment tout l'album, Robust prouve qu'il mérite amplement une place parmi les plus fines lames Galapagos 4 aux côtés d'Offwhyte ou Qwel. Préférant mettre l'accent sur les mots et sur la musique, Robust s'encombre rarement de refrains qui viendraient stopper le flot de ses pensées et livre des textes labyrinthiques qui dévoilent des trésors d'écriture à chaque nouvelle écoute. Confortablement installé sur des productions riches en détails qui explorent la gamme de rythmiques s'étendant entre le downtempo et le midtempo, il répand ses états d'âme au fil des sillons tout en s'exerçant à des variations flowistiques savoureuses. Généreux, il laisse en retour amplement l'occasion à ses compositeurs de se mettre en avant lors de plusieurs interludes musicaux qui sont autant de fenêtres ouvertes vers les univers musicaux de leurs auteurs (et montrent bien la vitalité de l'underground de Chicago). La recette est gagnante.
Il faut dire de toute façon que la réussite de "Potholes In Our Molecules" doit beaucoup à l'ambiance installée par les différents producteurs présents. Se partageant la majorité de la production, Meaty Ogre et Prolyphic parviennent à donner une belle unité à l'album. Ils mettent en place un boom-bap plutôt lent, serein mais recherché qui sait s'adapter à l'humeur changeante de Robust. Seuls Dreas et DJ White Lightning viennent changer la donne lors de quelques parenthèses un peu plus expérimentales réussies ('Yesterday's Fossil' et 'Comfortable Cavemen'). Si on connaissait et appréciait déjà depuis un bon bout de temps le travail Meaty Ogre, on découvre avec plaisir celui de Prolyphic. Dès l'ouverture, mené par une complainte de guitare bluesy posée sur une rythmique lancinante soulignée de quelques notes de guitare plus martiales, 'Closed Caption Contraption' impose la patte un peu plus rugueuse de Prolyphic (confirmée par l'oppressant 'Thinking Ahead of Time'). Tenant la dragée haute aux producteurs réputés qui l'entourent ici, il fait bonne impression. La longue boucle de violon mélancolique de 'Born Again Agathist', la trompette neurasthénique de 'Pessimist Recipe' et la composition planante de 'Just Add Dust' achèvent d'ailleurs de nous convaincre qu'on entendra à coup sûr reparler de lui sous peu. Cependant, comme on s'y attendait, c'est bien Meaty Ogre qui tire le meilleur de Robust avec ses instrumentaux sur-mesure. Superposant les couches de sons avec finesse, travaillant consciencieusement ses rythmiques, il sait piocher dans ses archives des samples inédits mettant en valeur les jeux de mots de Robust, tout en agençant ses compositions avec une précision d'orfèvre. Lorsque Robust, sous l'influence du cannabis, se lance dans une farandole de rimes au goût de freestyle (entre egotrip, rêves mouillés et éclairs de lucidité), Meaty confectionne une production sous calmants idéale. Avec son ambiance de club jazz enfumée et sa ligne de basse enveloppante, 'Run On Sentence' hypnotise. Dans un registre différent, le spleen qui se détache de chaque rime de l'introspectif 'Beats/Me' est parfaitement relayé par des violons cinématographiques perçants, un piano élégiaque et un sample vocal étrange. Après avoir brillé aux côtés d'Offwhyte sur "The Fifth Sun", Meaty Ogre réitère donc son tour de force avec un nouvel emcee et montre ainsi qu'il est bien un des beatmakers les plus en verve actuellement. Du coup, entre la révélation de Prolyphic, la grande forme de Meaty Ogre et les contributions de valeur de leurs comparses, Robust s'est vraiment bien entouré.
Au final, alors qu'on ne l'attendait pas plus que ça, "Potholes In Our Molecules" nous surprend plus qu'agréablement. Complet, personnel, parfaitement équilibré, très bien produit, il constitue un album attachant et très cohérent qu'on ne saurait que recommander. Dégageant une ambiance particulière où se mêlent mélancolie et touches d'humour, "Potholes In Our Molecules" est un opus riche et sans tache, porté par un Robust arrivé à maturité et par une assemblée de producteurs au diapason. Un album qui ne quitte pas notre platine, qu'on décortique avec délectation et qui constitue bel et bien, vous l'aurez compris, un des tous meilleurs LP's porteurs du sceau Galapagos 4. Décidément, l'année commence bien du côté de Chicago. N'hésitez pas à y faire un tour.
Cobalt Mars 2004