Prolyphic
An Alarm Set For 9:01

Autant l'avouer. Avant de l'avoir entendu jouer un rôle majeur dans la réussite de l'album de Robust "Potholes In Our Molecules", on ne savait quasiment rien de Prolyphic. En même temps, il faut dire que le jeune emcee-producteur de Rhode Island n'avait pas fait beaucoup de vagues jusque là. Qu'à cela ne tienne; une occasion lui aura suffi pour changer la donne et inscrire son nom sur nos tablettes. Surgi de nulle part, Prolyphic a posé sur l'album de son ami de Galapagos4 la première pierre d'une carrière pleine de promesses. 3 mois à peine après ce "Potholes In Our Molecules" (qui reste une des meilleures surprises de l'année en cours), il sortait pourtant sur sa propre structure sa première galette solo dans l'indifférence générale… La reconnaissance attendra… La vie est parfois mal faite.

Et Prolyphic en est conscient. En effet, le moins qu'on puisse dire est qu'il partage avec Robust un goût certain pour la neurasthénie… Hanté par une peur viscérale de rater sa vie, il affectionne les thématiques sombres qui lui permettent de se livrer avec honnêteté et de faire preuve d'une maturité qui n'a pas attendu le nombre des années. Scannant son esprit et ses états d'âme, lui, qui se définit comme un exclu cherche humblement à trouver une place dans quelques bacs de disques et quelques esprits. Revenant sur ses amours malheureux, son mal de vivre, sa mort inéluctable et ses errances mentales, il tente de panser ses blessures. La tristesse et l'abattement qui l'habitent souvent sont résumés avec poésie dans l'ouverture de 'Murphy's Law': "The waters run deep and I'm provoking a disturbance / Toss my rock of hope and see if it floats at the surface / It brought what seemed permanent / The ripple to it blurred / But in minutes it settled back as if nothing had occurred". Ce sont ces bouts de textes sensibles, imagés et durs qui font la force d'un Prolyphic. Car, autrement, le gaillard n'est assurément pas le emcee le plus flamboyant qu'ils nous aient été donné d'entendre (au niveau technique). De son flow spontanée, il sait pourtant donner corps comme il faut à ces mots lourds de sens où les sourires ont rarement droit de cité: "It's like I'm empty and these blank pages set it all on fire".

Et il sait aussi pêtrir des sons au diapason de ces textes. Confirmant ses dispositions à la production, Prolyphic ouvrage des productions musicales et nuancées où les samples se croisent et se marient subtilement, sans trop en faire, sans chercher à impressionner l'auditeur. Le réveil sonne; une voix murmure "open your eyes" au creux de notre oreille puis une basse enveloppante et un soupçon de guitare s'immiscent dans la danse avant de laisser la place à une batterie vivante et à un saxophone lancinant… Dès le départ et '9:01', le maître des lieux installe un rythme nonchalant et envoûtant. Amateur des trompettes crépusculaires, des pianos sombres et des samples vocaux raffinés, il crée des ambiances brumeuses qui distillent un boom-bap empreint de mélancolie. A l'image de l'orgue mortuaire, des craquements de vinyle et de la basse souterraine de 'Child's Play' qui évoquent les méandres des relations parents/enfants que le titre passe au crible. Conviant à l'occasion Joe Beats (le compère de Sage Francis au sein des Non Prophets) ou ses acolytes Sunspark et Bles, l'amateur de soupe de canard teinte néanmoins son projet d'une couleur plus dynamique que celle mise en avant sur l'album de Robust. Le breakbeat en avant de 'Date With An Ex', le piano épicé de 'Homesick' ou la guitare électrique grasse du diss track énergique 'When The Paint Dries' sont là pour en attester. Avec réussite. Pour autant, "An Alarm Set For 9:01" est un premier essai et, comme tel, il contient quelques défauts. Le plus palpable d'entre eux est la monotonie qui s'installe lorsque le spleen de Prolyphic penche trop dangereusement vers l'indolence et l'apathie (cf. 'Scarecrow' et quelques interludes musicaux un peu longuets)... Dans un autre registre, l'académisme de façade et l'ambiance déprimante du projet pourront en rebuter plus d'un; ceux-là même qui n'auront pas trouvé "Potholes In Our Molecules" à leur goût par exemple. Mais pas nous.

Et, à vrai dire, "An Alarm Set For 9:01" nous laisse sur une bonne impression. Après s'être révélé à nos oreilles voilà quelques mois, Prolyphic confirme en effet son potentiel en solo avec un premier album solide, habité et personnel. Relativement classique dans la forme, "An Alarm Set For 9:01" convainc par sa qualité d'ensemble et par la modestie de son auteur. Mais Prolyphic le sait pertinemment: il n'est qu'au début de son aventure. "Ahead of my time, not likely, cause you're still sleeping". En attendant la sortie de son opus commun avec Robust, Prolyphic ne changera probablement pas la face du monde. Sûrement qu'il ne restera pour le moment qu'un nom gravé sur quelques sillons et sur un banc public du Rhode Island ('Names on a Park Bench'). Mais il aura au moins la satisfaction d'avoir signé un premier album de valeur, juste reflet de sa fragilité, de ses interrogations et de ses quelques certitudes. Un bon album de rap, tout simplement.

Cobalt
Septembre 2004

Note: Album disponible sur www.ughh.com. Plus d'infos sur Prolyphic via www.ducksouprecords.com.
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Label: Ducksoup Records
Production: Prolyphic, Sunspark, Joe Beats & Bles
Année: Mai 2004

01. 9:01
02. One Day At A Time
03. Homesick
04. Date With An Ex
05. Murphy's Law
06. The Run Around
07. When The Paint Dries
08. Iron Maiden
09. Child's Play
10. Two Sides
11. Growing Lake Of Separation
12. Scarecrow
13. Fade Away (feat. Sunspark)
14. S.O.M.
15. That Long Road Home
16. Names On A Park Bench
+ Bonus Track

Best Cuts: 'Iron Maiden', 'Child's Play', 'Date With An Ex'

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