Yak Ballz
My Claim

Ca fait déjà un bon bout de temps qu'on ne s'intéresse plus vraiment au sort d'Eastern Conference. Responsable de l'enlisement de la carrière de Cage, du come-back raté de Tame One, d'une pile de compilations inutiles et de bien d'autres méfaits (le dernier en date étant le pitoyable "The Highlite Zone" de The High & Mighty), le label de Mr. Eon et Mighty Mi n'a eu de cesse de nous décevoir après un départ pourtant très prometteur; allant même jusqu'à ranger au placard le seul projet qui nous faisait encore vraiment rêver: ce fameux album des Weathermen. Malgré tout, on ne peut s'empêcher de jeter une oreille attentive au premier album de Y@k Ballz qui sort ces jours-ci sur Eastern Conference. Il faut dire que depuis ses fantastiques prestations sur les tapes de son DJ Mondee, Yak n'a eu de cesse de nous impressionner. Les adeptes de Fondle'Em se rappelleront encore avec émotion 'Flossin' et le très réussi EP "Home Piss" du natif du Queens. Les autres se souviendront plus probablement de son mémorable 'Freak Show' sur "Definitive Jux presents II". Attaquant le micro avec rage à chacune de ses sorties microphoniques, Yak a réussi à se faire un nom dans le milieu très concurrentiel du hip-hop new-yorkais, au point de devenir un membre des Weathermen aux côtés de sommités telles qu'El-P, Breezly Brewin (des Juggaknots) ou Cage. Voilà donc pas mal de temps qu'on attendait d'avoir un essai longue durée de Yak Ballz entre les mains. C'est désormais chose faite avec la sortie de "My Claim".

Si, suite à sa signature sur Eastern Conference, on avait craint que Yak soit dans l'obligation de se coltiner une montagne de productions médiocres de Mighty Mi ou Reef, on est rassuré en constatant que c'est bien son DJ et compère de toujours, Mondee, qui est en charge de la réalisation de l'immense majorité de "My Claim" (13 titres sur 15). Après nous avoir régalé de productions pour Yesh, Invisible ou encore Slug ('Keep Steppin' sur la compilation "State of the World"), Mondee a prouvé sur le récent maxi 'The Drill' que son alliance avec Yak Ballz pouvait encore faire des étincelles. Dès que le beat minimaliste hypnotique de 'Method to Madness' s'installe, Mondee confirme que son savoir-faire est intact. Un motif de clavier diabolique, une basse souterraine, quelques notes de triangle, des voix en écho: avec ces quelques ingrédients, Mondee assemble une composition sombre et envoûtante qui, couplée aux rimes schizophréniques provocatrices de Yak Skywalker, nous prend dans l'étau. Le même type de tension est palpable sur le paranoïaque 'No Escape' (au sample de guitare torturé). A côté de ces titres économes, Mondee montre qu'il sait aussi composer avec succès des instrumentaux plus démonstratifs, à l'image des cuivres et des violons grandiloquents de l'imparable 'My Claim' ou de l'ambiance blaxploitation de circonstance de 'Pimped Out'. Parmi les moments mémorables de ce premier opus, il faut aussi compter le clavier caressant et la guitare mélancolique du nostalgique 'Queens'.

Surtout que Yak se montre très à l'aise lors de cet exercice autobiographique. Revenant sur ses années passées dans le Queens, Yak y retrace son parcours, entre le divorce de ses parents, sa passion grandissante pour le rap, ses premiers amours, ses amis mais aussi la violence environnante et l'attrait des business illicites. Comme Yak l'a déjà prouvé par le passé, il sait dessiner en quelques rimes des tableaux évocateurs et réalistes (pour mieux changer de décor la rime d'après). Lorsqu'il dévoile son côté sombre et rend hommage à son meilleur ami disparu, le temps son duo avec Tame One 'O.D.E.', il flotte sur l'instru avec classe (même si Mighty Mi utilise une fois de plus une grosse boucle grillée). En authentique emcee new-yorkais, Yak avoue cependant un goût affirmé pour les textes décousus ponctués de punchlines arrogantes… On pourra le regretter devant l'abondance d'egotrips pas toujours inspirés qui en résulte ('The Gulliest', 'Skywalker's Here' ou encore 'Nerd Wars' et son refrain nullissime). Si la stratégie est payante sur maxi, elle l'est bien moins sur LP. A force de chercher la punchline à tout prix, Yak oublie souvent de varier un tant soit peu les thèmes abordés et, dès lors, il peine à nous tenir en haleine sur les 54 minutes de "My Claim". De plus, on ne peut s'empêcher de remarquer que Yak a pris les mêmes mauvaises habitudes flowistiques que Cage depuis son arrivée chez Eastern Conference. Même si son phrasé instinctif et fluide fait encore des merveilles ('Above & Beyond'), on le sent globalement moins affamé et on retrouve dans son flow actuel une fâcheuse tendance à accentuer outrageusement chaque rime de manière caricaturale ('Giddy Up').

Et puis, autre point noir, Yak tente ici un peu trop souvent de plaire au plus grand nombre. Il entraîne alors Mondee sur des pistes glissantes. Avec son sample lourdingue, son synthé petit bras et son refrain chantonné, 'Giddy Up' manque franchement de finesse et semble un peu trop formaté pour les clubs à tous les niveaux pour qu'on se réjouisse de sa présence. Idem pour la syncope lassante de 'Skywalker's Here' ou pour un 'Spy On You' creux (qui sample en outre sans vergogne le thème du "Fabuleux Destin d'Amélie Poulain"). Quand l'underground applique les recettes mainstream, quelque chose cloche... Ainsi, le lit de violons orientaux et le sample vocal de 'Moving On' rappellent des sonorités "addictives" un peu trop dans l'air du temps (même si le résultat est indéniablement efficace). Du coup, à l'écoute de "My Claim", de nombreux titres viennent gâcher la fête et semblent pour le moins déplacés. Autant dire qu'on préfère donc clairement Yak Ballz en bouffeur de micro insatiable que lorsqu'il enfile sa tenue de clubber.

Si ce premier opus solo de Yak Ballz constitue bien la meilleure sortie estampillée Eastern Conference depuis belle lurette, il reste donc indéniablement une petite déception compte tenu de ses précédents faits d'armes. A l'instar d'une bonne partie des artistes qui avait fait les beaux jours de l'indépendance new-yorkaise à la fin des années 90, Yak ne parvient pas à faire carton plein sur son premier essai longue durée. Varié mais hétérogène, "My Claim" touche pourtant au but dès que Yak Ballz et Mondee avancent dans les rails de leurs précédentes collaborations. Le talent est là. Dommage que Yak se bride lui-même en essayant un peu trop souvent d'appliquer des recettes au goût de déjà vu. Au final, "My Claim" est donc un essai à moitié transformé pour Yak. Les inconditionnels de Yak y trouveront sûrement leur compte… mais pas forcément les autres.

Cobalt
Mars 2004
Par années... Par catégories... | Par ordre alphabétique... | Chroniques récentes... |
Label: Eastern Conference
Production: Mondee, Mighty Mi & Camu Tao
Année: Février 2004

01. Method to Madness
02. Giddy Up
03. Skywalker's Here
04. Pimp Skit (feat. Mario)
05. Pimped Out (feat. Cage, Camu Tao & Billy Atlas)
06. No Escape
07. O.D.E. (feat. Tame One)
08. The Gulliest
09. Queens Life
10. Nerd Wars
11. My Claim
12. Moving On
13. Spy On You
14. The Drill
15. Above & Beyond

Best Cuts: 'Method to Madness', 'Queens Life', 'My Claim'

Si vous avez aimé...

Dernières chroniques

Recherche

Vous recherchez quelque chose en particulier ?

Copyright © 2000-2008 Hiphopcore.net