Binkis Recs!
The Reign Begins

Depuis l'avènement d'Outkast et Goodie Mob, Atlanta a définitivement gagné sa place parmi les villes majeures en matière de hip-hop. Devenu le lieu de villégiature préféré des rappers new-yorkais soucieux de s'éloigner de la Grosse Pomme pour trouver un peu de tranquillité et d'espace, elle nous réserve souvent quelques bonnes surprises, de Mars Ill aux intouchables Micranots en passant par Mass Influence ou Scienz of Life. Il faudra peut-être désormais rajouter les transfuges new-yorkais Binkis à cette liste. Composé de Jax, Flux the Wondabat et Killa Kalm, le trio a déjà bien fait parler de lui dans l'underground depuis sa création en 1997. Il faut dire que, lorsqu'on est activement soutenu par Bobbito Garcia, les backpackers s'intéressent plus rapidement à vos travaux. Surtout que Bobbito ne s'est pas contenté de mettre Binkis en rotation dans ses émissions mais qu'il les a aussi placé sur "Farewell Fondle'em" et a sorti 2 de leurs maxis ('Bullitt' et 'Marquee') sur son label Fruitmeat pour les faire connaître. Du coup, après quelques albums à petit budget en indépendant, dont 3 solos de Jax et un de Flux, les trois compères débarquent en cette fin d'année sur Day By Day avec leur premier LP officiel "The Reign Begins".

Le nom du groupe résonne comme une profession de foi : Before Ignorant Niggas Killed Intelligent Songs. Dès lors, même s'il aborde des thèmes assez classiques, le trio fait attention à soigner sa copie et son vocabulaire comme au Golden Age. Ce qui étonne et fait plaisir dès le départ, c'est la diversité et la complémentarité des styles de chaque emcee au sein de Binkis. Sortis de leur contexte, Flux (avec ses lyrics cinématographiques truffés de références scientifiques abstraites et son flow d'obédience Atoms Fam) a visiblement peu de choses à voir avec un Killa Kalm (insatiable bouffeur de micro au style beaucoup plus direct et offensif). Pourtant, dans le cadre du groupe, leurs personnalités s'équilibrent à merveille. Quelque part entre ses deux collègues, Jax enchaîne les figures de style avec panache de sa voix éraillée et vient complèter le tableau. Réunis, les phrasés pleuvent, s'entrecroisent et se mêlent sans répit. Rien qu'avec sa belle brochette de flows, Binkis pourrait exercer une force d'attraction irrésistible sur les adeptes de rap en manque de fraîcheur. Armé d'un univers lyrical chargé sortant de l'ordinaire, le groupe parvient à donner un second souffle à des thèmes souvent éculés. Egotrips imagés, hymnes d'autopropagande, présentations alambiquées, descriptions des effets néfastes du son Binkis sur les wacks, concours de bons mots, hommages à la fonction cathartique de la musique: Jax, Flux et Killa Kalm ne déblaient pas vraiment de nouvelles pistes mais ils nous séduisent par leur énergie communicative et leur honnêteté. Ainsi, lorsque Killa Kalm se prend au jeu de l'introspection et revient sur son parcours chaotique le temps d'un 'Dedicated' en forme d'hommage à ses proches ou lorsque le trio évoque des amours déçus, les personnalités percent sous les carapaces d'arrogance et d'humour. Car l'humour est aussi au rendez-vous, comme le met en évidence un 'Don't Do Itahh' tout en autodérision où les rappers nous dévoilent leurs mauvaises habitudes. Emcees complets se moquant des étiquettes et du qu'en-dira-t-on, Binkis font ce qu'ils veulent… et tant mieux.

Aux manettes, Jax se charge de donner une couleur sonore aux élucubrations de son crew. Adepte de l'efficacité, il aime les kicks ravageurs, les basses épaisses et les boucles soul hypnotisantes. En conséquence et suite à un découpage nerveux des samples, il est souvent très difficile de ne pas hocher la tête en rythme sur un titre de Binkis. Avec son piano intense, sa contrebasse à faire trembler les murs et ses percussions travaillées, 'What's The Purpose' est un bel exemple de la maîtrise de Jax. Tout comme le bulldozer funky 'We Rock Mics!!!' avec ses saxophones rutilants et sa batterie furieuse. Pour autant, si Jax laisse une grande place à des sons bruts et rentre-dedans, il sait alterner les ambiances et même ménager quelques pauses quand il le faut. Autres traits caractéristiques de celui qu'on appelle aussi The Axehandler : son goût pour les rythmiques saccadées (cf. 'Not Bad' ou 'Testimonial' et sa furie de scratches) et un sens des refrains accrocheurs qui fait souvent mouche, qu'ils soient rappés à l'unisson ou bien samplés. En fait, il ne manquerait à Jax qu'un peu plus d'audace pour emporter l'adhésion générale. En effet, il évolue dans un registre somme toute assez classique et dépouillé (parfois un peu trop comme sur '2 Much') qui ne siéra pas forcément aux amateurs d'expérimentations tous azimuts sur les 73 minutes de "The Reign Begins". Il leur faudra donc s'accrocher un peu, surtout que le LP prend un peu de temps avant de trouver son rythme, la faute à un début de course assez laborieux (plombé par une introduction chantée peu engageante et par un long interlude inutile). Mais Jax redresse vite la barre et ne lâche les manettes à des collègues qu'à 2 reprises. On se serait volontiers passé de la collaboration avec Minaminagoodsong sur 'Spinacapita' mais pas de la contribution de Jon Doe. Leur rendant la pareille après l'apparition de Binkis sur son très bon "Meet Jon Doe", le producteur de Prophetix se fend en effet d'une production pétillante articulée autour d'une guitare enjouée et de violons luxuriants. Si 'Out of the Box' détonne du coup par sa luminosité, il donne l'occasion à Binkis de se forger un hymne pour la scène. En dehors de ces 2 apartés, Jax montre en tout cas qu'avec son expérience il est tout à fait capable de tenir les rennes seul sur la longueur d'un album et pas seulement sur maxi.

A propos de maxis, les énormes 'Bullitt', 'That's What I'm Talking About' et 'Eyeam' qui avaient fait les beaux jours de Fruitmeat sont au programme. Point positif pour tous ceux qui étaient passé à côté le premier coup. C'est l'occasion de constater à nouveau que 'Bullitt' est de la trempe des classiques instantanées. Retournant avec talent une boucle de guitare familière de Lalo Schiffrin pour la saupoudrer d'une rythmique saccadée prenante, d'une basse épaisse, de cymbales martyrisées et d'un soupçon de cuivres bien trouvés, Jax s'y surpasse vraiment. Quand on rajoute à ça un refrain entêtant et la forme olympique des trois compères, le titre s'apparente immanquablement à une impitoyable tuerie. Idem pour la passe d'armes microphonique entre Jax et Werd Da A.O.S. sur le clavier discret et la guitare légère de 'Eyeam'. On se réjouira donc sans retenue de l'inclusion de ces titres marquants. Un bien pour un mal cependant. Car à côté de ces premiers coups d'éclat, même si l'album s'avère très solide, on constatera qu'on ne trouve pas énormément de nouveaux titres de la même intensité. Mais, une fois lancé par 'Bullitt', "The Reign Begins" déroule sans embûche et montre que la réputation de Binkis n'est pas usurpée. Les bons moments se suivent et on peut dire que l'album satisfera à n'en pas douter les adeptes de boom-bap nouvelle génération. Complet, solide à tous les niveaux et varié, il s'inscrit sans difficulté dans la belle série d'albums sortis par Day By Day cette année. Si on ne s'aventurera pas à leur prédire un règne, on ne peut que souhaiter à Binkis une belle carrière… Avec "The Reign Begins", les choses commencent en tout cas plutôt bien. Bobbitto doit s'en réjouir.

Cobalt
Décembre 2003
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Label: Day By Day
Production: Jax, Jon Doe, Pgnut
Année: Septembre 2003

01. Can You Stand…? [Intro] (feat. Slick & Rose)
02. Introducing
03. The Reign Begins
04. '97 Forecast [Skit]
05. Bullitt
06. Testimonial
07. Eyeam (feat. Werd Da A.O.S.)
08. Out Of The Box
09. That's What I'm Talking About
10. 2 Much
11. Wundaluv
12. Dedicated
13. What's The Purpose
14. Not Bad
15. We Rock Mics!!
16. Don't U Do Itahh
17. Spinacapita (feat. Minaminagoodsong)
18. Exit

Best Cuts: 'Bullitt', 'What's The Purpose', 'Eyeam'

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