La Cool Man Association est de retour! Plus de 5 ans après un premier épisode à marquer d'une pierre blanche, The Grouch et Luckyiam.PSC ont accordé leurs emplois du temps entre 2 tournées et une dizaine de concerts pour se retrouver et redonner vie à CMA. Bonne idée vu qu'avec le recul, "Overall" reste une des combinaisons les plus réussies de la discographie des Legends. Depuis la publication de "Overall", pourtant, bien des choses ont changé pour les Living Legends. Fort de son deal avec Sony/Red Distribution, le collectif est désormais une force visible de l'underground californien qui récolte des articles dans les grandes publications américaines et dont les disques arrivent sans mal sur nos côtes. Qui l'eut cru il y a encore 3 ans de ça ? En parallèle, les deux collègues ont aussi vu leur carrière se développer largement depuis le premier épisode: PSC a pris le temps de s'éloigner un peu de l'aventure Mystik Journeymen pour sortir 3 albums solo tandis que The Grouch est devenu l'un des ambassadeurs les plus porteurs des Legends et a sorti 2 projets sur DVD… Le moment des retrouvailles semble donc plutôt bien choisi. Cependant après la semi-réussite de "No More Greener Grasses" et la petite déception d'un "Creative Differences" hautement hétérogène, on ne peut s'empêcher d'accueillir aussi le retour de CMA avec une légère inquiétude.
Vu que "Overall" était pour le moins passé inaperçu lors de sa sortie, les 2 collègues ont décidé de mettre tous les atouts de leur côté pour ne pas passer à la trappe dans la grande foire des sorties hebdomadaires. Fin diplomate, The Grouch a convaincu sa sublime compagne Larissa de les aider dans leur mission, en l'invitant à s'enduire pour les besoins de la pochette d'un liquide chocolaté d'une façon pour le moins appétissante. De quoi attirer le regard de tous ceux qui resteraient insensibles à l'écusson CMA. Pour être sûrs de rallier à leur cause de nouveaux auditeurs, Grouchie et Tom ont aussi fait jouer leurs relations; si bien qu'on retrouve au menu des apparitions prestigieuses de membres de la tribu Rhymesayers mais aussi d'une légende californienne en la personne de Del Tha Funkee Homosapien. Avec toutes ces cartes dans sa botte, CMA dévoile donc enfin "All Over".
Comme 'Addicted' l'avait récemment prouvé, The California Music Authorities n'ont rien perdu de leur complémentarité et dégagent encore sur disque une ambiance de confrérie pour le moins invitante. La voix croustillante de PSC et son phrasé élastique et plein de vie s'imposent comme un contrepoids naturel au timbre chaud et unique du Simple Man. Avec leurs flows déliés et agiles, Tom et Corey posent avec l'assurance et le caractère de vétérans toujours sémillants. La formule est bien rodée: pas trop d'acrobaties microphoniques, peu de démonstrations de style en hors-piste mais une alternance bien balancée entre titres ludiques et passages plus sérieux. Affirmant leur volonté d'aller toujours plus loin pour ne jamais rien regretter, répétant leur engagement à ne pas dévier de leur route, rappant sur tous les tons leur joie de se retrouver réunis, les 2 collègues se livrent aussi par endroits à quelques exercices conceptuels. Comme lors du remarquable diptyque 'Bad Side' / 'Good Side' qui les voit hésiter entre autocritique impitoyable et autocongratulation éhontée, le temps d'une schizophrénie sur beat plutôt réjouissante… et parfois touchante (
"I can't bear to face the truth / Gotta tell it in the booth"). A les entendre revenir sur leur jeunesse entre douceurs sucrées, école publique, déménagements déchirants, blousons Michael Jackson plein de style et découverte de la musique et des filles, sur fond de piano mélancolique, on verserait presque une larme ('Windows').
Mais le duo n'est heureusement pas là pour faire pleurer dans les chaumières et a toujours préféré l'humour au misérabilisme de pacotille. Tant mieux. Et l'humour est là, un peu partout. La colère aussi. Celle qui les habite depuis que les fondamentalistes républicains ont repris par la force le contrôle de la Maison Blanche ne cesse d'ailleurs de s'attiser.
"What's wrong with America ? When it sees a little skin, gets hysterical / Then heads overseas, points barrels at men".
A l'heure où certains Américains se débattent dans la pauvreté au quotidien comme au bon vieux temps du "regretté" Ronald Reagan (cf. l'envoûtant 'Are We There Yet?' produit par Eligh) et que l'Amérique fait la loi dans le monde sans rendre de compte à personne, on peut comprendre leur irritation… Intelligent et divertissant à la fois, "All Over" a donc tout pour plaire à première vue. Lorsque les flows se lâchent un peu comme sur 'CanUstaycool?', on retrouve même les frissons de meilleurs moments de "Overall" et d'un PSC aussi motivé qu'à son premier open mic:
"Ain't no backpack rap, I'm a freak & a nerd".
Il faut dire qu'avec le rouspéteur aux manettes, on a le droit aux ambiances ambivalentes et insidieusement addictives que l'auteur de "Fuck The Dumb" peaufine depuis des années. Des beats dépouillés, à la fois rythmés et éthérés, aériens et terre-à-terre, synthétiques et chauds. Des claviers amples, une poignée de nappes fantomatiques bien dosées, quelques basses bien épaisses, des handclaps à foison et des rythmiques solides pour propulser le tout. Diablement simple et pourtant si charmant. 'Raise Up The Level', 'Bad Side', 'CMA 2': quasiment toutes les livraisons du maître de maison répondent à nos attentes. Malheureusement, comme un peu trop souvent ces temps-ci, les Living Legends ont cru bon de devoir convier une tripotée de beatmakers à leur table. Tant pis pour la cohérence sonore de l'album. Tant pis pour nous aussi. La voix pitchée et la propreté de 'Windows', le parfum old school caricatural de 'Tactics' et la superficialité d'un 'Thas Whus Up!' sans finesse rentre un peu trop dans la norme pour convaincre nos oreilles exigeantes… Sans parler de l'inutilité d'un 'Make It Mine' sérieusement mauvais ou de featurings pas franchement passionnés. On regrettera donc clairement que The Grouch, très en verve sur chacune de ses sorties, n'ait pas eu la même main mise sur la production que lors de "Overall". L'exemple de 'The Immigrant' est symptomatique des carences musicales du LP. Racontant avec tact les drames humains qui se déroulent continuellement pour ceux, Mexicains, filles de l'Est et autres réfugiés qui soldent leurs comptes pour goûter au "rêve" américain, The Grouch et PSC méritaient mieux que la composition funky affreusement quelconque pondue par Mils.
A l'image de ce titre, "All Over" souffre au final de son manque d'aspérités. Si le contenu lyrical a pris en densité par rapport au premier volume, CMA marque un net recul dans tous les autres domaines. C'est le monde à l'envers. A vouloir satisfaire un peu tous les publics, The Grouch et PSC s'éparpillent et manquent leur(s) cible(s). Souvent trop lisses et conventionnelles, dépourvues d'un vrai fil directeur, un peu fouillis, leurs retrouvailles ne tiennent pas toutes leurs promesses et souffrent de la comparaison avec les archives Légendaires qui continuent à alimenter les bacs de disques via Outhouse. Quelques très bons moments sont bien évidemement au programme et l'album reste somme toute plutôt sympathique et respectable mais, franchement, on pouvait légitimement espérer autre chose. La bouteille de nappage chocolaté dont se couvre Larissa a beau nous vanter "All Over" comme un produit à l'authentique goût Legends, après écoute, on reste sur notre faim. Soit la publicité est mensongère, soit la nouvelle recette mise au point par The Grouch et Luckyiam.PSC utilise des ingrédients moins raffinés qu'avant le passage à l'euro mais, en tout cas, cette saveur CMA un peu trop universelle n'est plus tout à fait ce qu'elle était.
Cobalt Janvier 2005