Voilà 5 ans maintenant, Daz-Ini, Da'Pro et Diamond Djiil sortaient leur premier maxi commun. Depuis 'De L'Obscurité Jaillira La Lumière', bien de l'eau a coulé sous les ponts pour le trio. A raison d'apparitions radiophoniques, de nombreux concerts et de 2 mixtapes de présentation ("Force Pure 2000" et "Force Pure 2001"), le groupe a lentement mais sûrement tracé sa route sans se soucier des modes et en restant fidèle à sa ligne de conduite. Le travail fourni leur a permis de s'imposer dans l'underground hexagonal avec humilité. Suite à une prestation remarquée sur le second volume de la compilation "Maximum Boycott", qui leur a déjà permis de rencontrer un public plus large, les 3 acolytes ont désormais décidé de franchir un cap avec le long format "Lost Sound Chap.1". Se recentrant sur sa formation originelle (Daz-Ini au micro et Djiil aux manettes), Force Pure s'est attaché pour ce premier vrai album à confectionner un opus très personnel tout en rendant hommage à ce "son perdu" qui a fait les plus belles années du hip-hop.

En effet, cet opus est l'occasion pour le concepteur sonore Diamond Djiil de confectionner des instrumentaux teintés des couleurs musicales qu'il apprécie le plus. Avec un soupçon de jazz, un peu de funk et quelques grains de soul, Djiil compose ainsi des morceaux variés à la musicalité assumée et aux références revendiquées. Du beau travail. Prenons 'Entre Moi et Moi' par exemple. Sa rythmique motrice, sa basse bien balancée et sa guitare funky le propulsent aisément parmi les titres français les plus excitants entendus ces derniers mois… Si l'on rajoute à ça la trompette et le saxophone qui surgissent à mi-parcours ainsi que les manipulations vinyliques de l'expert DJ Gero, autant dire que les puristes apprécieront. Ailleurs, si quelques-unes des boucles choisies sont légèrement cramées et que tous les instrus n'ont pas été travaillés avec la même application que 'Entre Moi et Moi', force est de reconnaître que le travail réalisé par Djiil est savoureux et que les ambiances chaudes qui dominent tout au long de "Lost Sound" conviennent parfaitement aux rimes introspectives de Daz-Ini. Souvent construites à partir de basses épaisses et de samples vintage bien choisis et multiples (guitare acoustique, violons, clavier, etc), les productions naviguent entre passages dynamiques, moments mélancoliques et midtempos confortables. Par endroits, mais pas trop souvent non plus, Djiil lâche même le sampler pour faire tourner quelques faces B de titres anglo-américains sur lesquels Daz-Ini et ses invités s'en donnent à cœur joie. Ces petits écarts s'avèrent souvent plus que plaisants. Ainsi, quand Daz-Ini retrouve Asco de Bunzen sur une production très rythmée empruntée à The Herbaliser, on approuve en hochant frénétiquement la tête. Entre archéologie et création pure, Djiil parvient donc assez adroitement à reconstituer les paysages sonores d'une époque révolue mais intemporelle.

En dehors de l'exercice de style 'Bad Trip' (au titre évocateur) et de quelques passages egotrippants, Daz-Ini a voulu profiter de ces sons musicaux pour mettre l'accent sur des textes personnels lui permettant de se dévoiler et de se livrer à un examen de conscience au fil de l'album. N'hésitant pas à faire son autocritique et à évoquer ses failles, Daz-Ini se fend de textes lucides et subtils qui constituent une réelle bouffée de fraîcheur dans un rap français sclérosé depuis des années par les clichés racailleux. Il donne ainsi beaucoup de relief et de profondeur à un album qui risquait, de par son principe de départ, de n'être qu'une œuvre nostalgique et passéiste… Livrant sa vision des choses, revenant sur les leçons que la vie lui a apprises, se questionnant sur le sens de nos existences, se refusant au fatalisme, il va de l'avant, ancre l'opus dans le présent et fait preuve d'une maturité rare. Tout juste lui reprochera-t-on une poignée de refrains pas très inspirés. Dans ce contexte, on aurait aisément pu se passer des interventions microphoniques des proches du groupe. On retiendra les interventions d'Asco et de Mike (qui confirme après le très remarqué 'Mike 001' qu'il fait partie des plumes les plus prometteuses du rap hexagonal)… mais les vocalises de 'Je Sais Pas' ou le posse-cut à rallonge qui se fait jour en fin d'album semblent un peu hors sujet. Cependant, comme Daz-Ini a le micro en main pendant la grande majorité des 73 minutes de "Lost Sound", on ne fera pas la fine bouche. Avec son écriture fluide et recherchée, son flow spontanée et habile, son vocabulaire fouillée, Daz-Ini est en effet définitivement au zénith de sa forme lorsqu'il "parle à cœur ouvert" .

Au final, en dehors de quelques fautes de goût (le douteux 'Dépasser l'horizon' au hasard), ce premier volume de l'aventure "Lost Sound" apparaît donc comme une agréable surprise. "B-Boys par essence" , Daz-Ini et Djill sont sur la même longueur d'onde et ont élaboré un opus singulier et pétri d'intelligence. Alors, oui, j'en vois déjà certains arguer que Force Pure évolue dans un registre un peu trop classique et n'apporte pas vraiment d'innovation au genre. C'est vrai. Néanmoins, il reste que la sincérité et le dévouement de Force Pure mais aussi la qualité de la prestation de Daz-Ini et, plus globalement, de ce "Lost Sound Chap.1" nous invitent à être enthousiaste à l'écoute de cette autoproduction à tarif réduit. De toute façon, il est devenu si rare de trouver dans nos contrées un album (de ce type) aussi cohérent et solide qu'on ne peut objectivement que recommander aux amateurs de ce fameux son perdu depuis la fin des nineties de se pencher avec attention sur le cas de Force Pure… en attendant le prochain chapitre.

Cobalt
Avril 2004

NB: Album uniquement disponible via http://www.forcepure.com.