Voilà un sacré bout de temps que l'ami Boac n'avait plus donné de ses nouvelles. A vrai dire, on pensait même que le fondateur du crew Earthlings avait jeté l'éponge, frustré face à l'anonymat dans lequel ses sorties et celles de son collectif atteignaient les bacs (ou plutôt le web). Du coup, une petite réintroduction s'impose, alors que le Californien revient à la vie via le label Machete Vox. Pour beaucoup, Boac reste une fulgurance : le marquant '19 Ninety Now Theme' et ses bruitages 8-bit issus de Zelda (souvent découverts au détour du mémorable mix "Triple Threat" de Detect). Mais Boac, c'est aussi un album prometteur "Modern Originalus", un EP, des concerts à foison, quelques maxis et tapes par-ci par-là… Soit tous les éléments d'une petite carrière de emcee indé en bonne et due forme. Plus un trou noir de presque 4 ans, qui touche enfin à sa fin en cet été avec "Plot Will Twist".
"Almost jobless, homeless, anonymous [...] I haven't got far to get back to where I came from / My goals got lost after I created'em / My cranium's ill / Like a stadium filled with nerve gas / But at this point, I can't turn back". Boac a décidé de mettre tous ses jetons dans ce baroud d'honneur. Et après écoute, on espère vivement que ce ne sera pas le dernier. Parce que le moins qu'on puisse dire, c'est que l'ami Boac ne s'est pas encroûté pendant sa traversée du désert. Avec son timbre de voix distinctif et un style qui mélange intelligemment un égotrip racé avec quelques touches d'humour pince-sans-rire, Banging Out All Classics n'est pas sans rappeler (toutes proportions gardées) ses voisins des Hieroglyphics grande époque. Une filiation renforcée, soit dit en passant, par son amitié avec l'extravagant Z-Man (qui fait ici deux apparitions après son "Dope or Dog Food").
"Watch me pull a rabbit out of my hat, a battle rap out of my track". Plein d'allant, friand d'assonances, monté sur ressorts mais étonnamment facile, Boac dégage une impression de confiance qu'on ne lui connaissait pas. Fort d'une solide expérience scénique, il rebondit sur le beat et joue avec les mots avec une fraîcheur qui laisse penser que les difficultés rencontrées en route lui ont appris à ne pas se faire des nœuds au cerveau. Pas de doute : Boac a trouvé le bon filon.
Surtout que le garçon n'a pas mis de côté ses qualités de beatmaker pendant son hiatus.
"Fuck a clean format, I don't fiend for that / Give me a 4-track / Matter of fact, shoot me a 2-track / The MPC will take care of the rest / And when the kick hits your chest / You best be wearin' a vest". Avec relativement peu d'ingrédients dans ses recettes, Boac fait preuve d'un savoir-faire qui saute aux yeux (et aux oreilles). Avec tout au plus quelques notes de clavier, une (contre) basse énorme solidement ancrée dans une rythmique midtempo capricieuse et un sample poussiéreux qui vient immanquablement s'incruster dans la tête, il habille chaudement ses rimes avec des ambiances tour à tour jazzy ou franchement dynamiques. Oh, ce n'est pas que la formule soit inédite, mais Boac sait clairement assembler des head-nodders bien achalandés qui devraient satisfaire ses homologues backpackers. En sus, une poignée d'extraits de shows télévisés vieillots et quelques séquences percussives surprenantes (un goût probablement hérité de son passé de breaker) se chargent d'ajouter une petite touche d'originalité à ce boom-bap plutôt académique.
Quand tous les éléments sont réunis, Boac brille immanquablement. Surtout lorsqu'il opte pour des titres courts qui évitent alors de faire durer les boucles plus que de raison et de tomber dans la facilité. Dans le genre, 'The Creator' ou 'Parachutes' emportent immédiatement notre adhésion… et 'Veteran Rap' fait des ravages. Dans ces conditions, dommage que Boac ait parfois choisi de dévier de ce format. Les rares plages dépassant la barre des 4 minutes (à l'exception du savoureux posse-cut 'Hazardous Material') peinent en effet à avoir le même impact que la succession de directs au foie qui ouvre le bal et nous met dans les cordes. Au rayon des petits griefs imputables à Boac, on notera d'autre part qu'il est nettement plus à son aise dans les battle raps que lorsqu'il s'exerce au storytelling ('One Block Radius' et ses récits de soirées mouvementées dans les ghettos angelinos ne laissera pas un souvenir impérissable) et qu'il a regroupé la majorité de ses meilleurs beats au début de ce nouveau LP. En même temps, on comprendra aisément qu'après une longue période de silence, le terrien ait voulu frapper fort d'entrée.
Pour autant, "Plot Will Twist" reste une bien bonne surprise et constitue un retour aux affaires malin et réussi pour Boac, qui devrait lui attirer la sympathie de nouveaux adeptes.
"Too dope, your mother got hooked on my rapping". Boac est bel et bien vivant et sacrément saignant. Avec ce nouvel opus séduisant, il nous offre un festival de battle raps ludiques pour le moins réjouissant et nous donne enfin de quoi mettre un peu de soleil dans cette fin d'été. C'est déjà plus que bien.
Cobalt Août 2006