Surgi quasiment de nulle part en 2002, "The Homestretch", recueil instrumental rempli de compositions hip-hop inédites et "prêtes à l'emploi" pour tous les emcees en manque de matière sonore, avait clairement comblé un vide dans le paysage français. Chemin faisant, il avait donné l'occasion à ses auteurs d'inscrire leurs noms sur nos plaquettes en nous laissant entrevoir un futur plein de promesses. Le bouche à oreille aidant, cette autoproduction originale avait su se faufiler discrètement dans la jungle des sorties pour trouver son public et se construire une belle réputation. 2 ans après les faits, Weeda Fresh revient à la charge entouré d'une nouvelle armada de collaborateurs avec "Bug Into The Clones" et des ambitions artistiques revues à la hausse. Véritable plate-forme pour les différents producteurs du pool Kamasoundtracks, ce second album se propose en effet de donner un visage crédible à l'abstract hip-hop à la française... Pour atteindre ce but, il réunit pas moins de 6 producteurs différents aux goûts résolument tournés vers le côté obscur du hip-hop indépendant mais aussi vers une multitude d'autres genres musicaux .
Moins statiques et identifiables, plus changeantes et travaillées que sur le premier volume, les compositions fouillées de ce second volume de The Homestretch apportent le petit plus qu'on espérait… Les productions vivent désormais d'elles-mêmes. Vivantes, évolutives, elles constituent indéniablement un bond en avant pour le collectif (boosté par l'arrivée de jeunes éléments talentueux). Les rythmiques sont plus touffues et aventureuses. Les instrumentistes invités deviennent un élément à part entière, pour ne pas dire indispensable, de la formule musicale de The Homestretch. Côtoyant les samples et les sonorités électroniques issues des machines, ils apportent du relief et du corps aux compositions sans jamais les dénaturer ou les phagocyter. La basse fretless du cinématographique 'Paris-Kansas', la mandoline légère de 'Soul Hunter', le saxophone expressif du poétique 'Free Girlfriend', le violoncelle du vagabond 'Shoot The Pianist' et la guitare omniprésente de Cyclotimik (qu'elle soit sèche ou électrique) insufflent un supplément de personnalité aux beats, tout en élargissant le spectre musical couvert. Des compositions teintées d'acid jazz de Pan@Point aux réminiscences def-juxiennes de Cyclotimik, "Bug Into The Clones" navigue au milieu d'ambiances et d'influences éclectiques. Varié mais moins décousu que ne pouvait le paraître le premier volume (mais le but n'était pas le même), il présente un panorama plutôt alléchant des talents qui fréquentent le studio Soul'Sodium. Tout en assumant clairement leurs influences, les membres de The Homestretch affirment un goût pour les mélanges acoustique/électronique et une patte qui leur sont propres. Les enchaînements ont visiblement été réfléchis et dès lors l'album s'écoute sans mal d'une traite. Sur la route, les bpm's subissent des variations notables et on est convié à des détours du côté de l'Asie, de l'ambient, du jazz, du futur… 'Out' Clones' avec ses arrangements raffinés et ses mouvements amples lorgne du côté de David Axelrod. Les trompettes entêtantes de 'No Macdo On Mars' installent elles une ambiance de fanfare Kusturicienne inattendue et irrésistible. Au rayon des titres marquants, 'Six Millions Ways To Fly' inscrit aussi son nom en bonne place. Presto y installe un univers post-industriel écrasant à l'aide de samples rentre-dedans bien choisis.
A l'image de ce titre en forme d'exutoire, The Homestretch n'ont d'ailleurs pas perdu leur envie de faire passer leurs émotions et opinions au travers de leur musique. En construisant des édifices sonores cohérents qu'ils habillent à l'occasion d'extraits de films et de monologues polyglottes pour clarifier le propos, le collectif lance quelques messages plus ou moins sérieux. 'Sarkopabo' au titre sans équivoque voit ainsi Weeda Fresh détourner un discours mémorable de l'imbuvable chouchou des médias de droite pour construire un instrumental offensif où se succèdent et se superposent claviers galactiques, guitare électrique trafiquée, chant oriental, basse slappée et sonorités intrigantes. Plus loin, sur une composition el-pienne, Lex Appeal invite Iris le temps d'un 'Ethic Addicted' en forme de plaidoyer pour l'éthique et contre l'uniformisation. Plus généralement, le collectif se positionne d'ailleurs contre tout type de formatage et de consumérisme à outrance. Les 2 interventions rappées de Loop L.O.C.K. (incarnation microphonique de Presto l'alchimiste) vont dans ce sens; tout comme son déluré 'Christmas Fuckerz'. A renfort de boucles de cuivres accrocheuses, d'un accordéon musette et de chants de Noël détournés, Presto y critique en filigrane une fête aux relents matérialistes qui sentent le sapin… En manifestant leur volonté de ne pas être de simples faiseurs de beats, The Homestretch associent l'utile à l'agréable. Même si, après un démarrage en trombe, on constate une baisse d'intensité notable dans la seconde moitié de l'album (avec un 'Sub Way' un peu rasant entre autres) et que le ventre de l'album contient quelques plages plus effacées, on trouve amplement de quoi stimuler son appareil auditif. "Bug Into The Clones" a de plus l'avantage de n'être entaché par aucune faute de goût criante. Et puis, avec son bandonéon sublime, son breakbeat nerveux, ses touches de mandolines et ses couches de sons agencées avec intelligence, le somptueux 'Full Time Fighting' de Weeda Fresh rachète bien ces temps morts.
Alors que The Homestretch prévoient déjà de diversifier leur activité en sortant coup sur coup un breakbeat et un album en paroles à l'automne prochain, ce second volume iconoclaste dévoile des ressources insoupçonnées et démontre clairement que le pool de producteurs rassemblé par Weeda Fresh a du talent à revendre. En continuant sur cette lancée, un avenir radieux lui semble promis. Inclassable mais définitivement hip-hop, "Bug Into The Clones" s'avère une belle surprise pour ceux qui rêvaient en secret ou tout haut de trouver enfin dans le paysage français un hip-hop instrumental sans maniérisme, audacieux, classieux et maîtrisé.
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www.kamasoundtracks.com.
Cobalt Juillet 2004