Blackbird
Bird's Eye View

Alpha Pup, cinquième chapitre. Les disques se suivent et ne se ressemblent pas. Un bon point pour ce label aussi généreux que virevoltant, où toutes les extrémités du hip hop ont trouvé refuge sous la houlette de Daddy Kev, leader passionné et ambitieux. Blackbird quant à lui n'a pas encore eu l'occasion de visiter le devant de la scène, son pédigrée étant pour le moment bien timide en comparaison de celui de son illustre collègue. Il a toutefois un parcours ponctué de quelques étapes intéressantes sur lesquelles nous reviendrons un peu plus tard. Et puis, il est accompagné de son compère Paris Zax, qui après s'être évadé le temps d'un quelque peu soporifique "Unpath'd Waters" (faisant pourtant montre d'une grande qualité de production), revient avec une nouvelle maturité musicale, peut être aussi plus à l'aise en sachant sa musique accompagnée des rimes de l'oiseau noir.

Blackbird a.k.a. Niggy Pop, a été l'un de membres du groupe Dark Leaf avant de faire partie de l'écurie Alpha Pup, et avait aussi fait parler de lui lors d'une apparition marquante sur l'indispensable "Beneath The Surface" d'Omid en 1998. Si par la suite son nom s'est quelque peu écarté des discographies de l'underground angelinos, c'est que son activisme a trouvé d'autres voies pour s'exprimer. Perfectionnant son art du spoken word en écumant tous les lieux accueillant des open mics, c'est au cours d'une de ces sessions nocturnes qu'il va croiser la route de Paris Zax, qui finira par devenir son indissociable compagnon de route. Un mc et un producteur donc, voilà une formule qui nous est bien familière. Et même si les ratés sont aussi nombreux que les réussites, la cohésion musicale développée par le biais de ce mariage n'est plus à démontrer. Surtout que dans le cas présent, la recette à déjà fonctionné lors d'un "Fetterless" assez savoureux, première collaboration des deux artistes de la cité de anges, sortie cd-r assez confidentielle en 2003, mais heureusement pas suffisamment pour ne pas parvenir aux oreilles affutées de Kev. Nous sommes aujourd'hui en 2005 et c'est l'heure du grand début.

Le bal masqué s'ouvre sur 'Outro', un cric semble remonter les roues d'une petite voiture prête à accomplir sa course folle… Beat entêtant pour flow décalé, cuivres aiguisés pour textes opaques, virée nocturne sans destination au volant d'une micro machine, le débat est lancé sur les chapeaux de roues. Et dès ses premières phases, la plume de Blackbird laisse cette emprunte poétique et délurée qui recouvrira l'ensemble de l'album. Pas toujours simple à déchiffrer, elle est néanmoins l'atout majeur de cet album. Les sujets abordés n'ont rien de vraiment inédit (amour, sexe, drogue, alcool et déboires…), mais le traitement particulièrement personnel de Blackbird rend tous ces éléments de la vie plus touchants, l'humour prenant parfois le pas sur le tragique.

'Midnight Rider', ode alcoolisée à destination d'un amour impossible, révèle l'influence bukowskienne dont Blackbird se réclame. La poisse verbale de l'alcoolique nocturne est ici contrebalancée par des déclamations savoureuses : "come on and let me drown in yo lapping waves and feed my greed, i need yo ambrosia to set me free" ou encore le touchant : "I just need you here with me, scents of jasmine in the midnight air/claws for fingers through yo hair". Et oui messieurs, l'amour est une source d'inspiration intarissable! La preuve, il remet le couvert pour un 'Bear Witness' décrivant le gâchis d'une relation amoureuse quand celle-ci est vécue sous l'influence de l'alcool. Thématiquement maussade mais souvent touchant, le voyage proposé par Blackbird se révèle donc introspectif. C'est peut être là que le pari est gagnant, puisque la force des sentiments surmonte parfois la qualité des textes ou des multiples intrications syntaxiques. Humour, désarroi, désirs, regrets ou souffrances, la multiplicité des sensations est traitée par autant de styles que de jeux sur les mots ('Survivor'), avec un art acéré des répétitions de sonorités ('God Complex') ou encore un travail amusant sur la richesse des rimes. Bref, tout est en place dans le catalogue de Blackbird dont le plaisir d'écriture reste toujours communicatif. Dans 'Hella Ride' par exemple, le rappeur nous narre une aventure sexuelle avec moult détails très pointus, le tout avec un humour indéniable qui n'en retire toutefois pas la sensualité : "As she writhes like a snake in the sand that's hot from the heat to the skin from the tongue as i'm sprung in her pearl in the cove fell in love". Hot.

Zax quant à lui fait un quasi sans faute, il accompagne avec la présence juste les péripéties et déboires de son compère. Jamais sa musique ne prend le pas sur le rappeur, jamais elle ne vient empeser l'album d'une atmosphère malvenue. Zax est dans le ton, à chaque moment. La complicité qui lie les deux californiens est palpable de la première à la dernière piste. Il est un partenaire idéal qui participe sans empiéter, qui soutient sans trop entreprendre. Sa musique possède par moments les accents du sud des Etats-Unis ('Midnight Rider', 'High Plains Drinker', 'Glamorous Drunk' par exemple), elle sent la poussière des coins perdus du Mississipi ou de la Californie, et on n'est jamais loin de cette saveur moite dégagée et ressentie elle aussi chez Faulkner ou Steinbeck. On retrouvera aussi éparpillées tout au long du disque quelques réminiscences musicales émanant directement d'"Unpath'd Waters". Dans 'Wild Night' par exemple, il renoue avec cette ambiance nocturne et pesante qui faisait de son opus solo une œuvre intrigante. Blackbird de son coté continue ses explorations vocales et nous narre sa nuit de folie avec la voix éraillée d'un corbeau sous LSD. Preuve du lien qui unit les deux artistes et leur musique, Blackbird laisse une plage à Zax afin de développer un interlude musical tout droit sorti d'"Il était une fois dans l'Ouest". A son écoute, on a le gout du sable dans la bouche, le désert du Nouveau Mexique devant nos yeux, et nos oreilles se souviennent du souffle de Charles Bronson dans son harmonica. Ce 'High Plains Drinker' introduit malicieusement le sombre 'Glamourous Drunk', toutefois plein d'un humour qu'on aurait en effet bien vu au sein des "Mémoires d'un vieux dégueulasse".

On trouvera tout de même quelques passages mous voire stériles, la plupart réunis dans la deuxième partie du disque. L'irritant 'Confessions' et le peu inventif 'Survivor' sont de ceux là, et quand ce n'est pas Zax qui fait tourner un peu sa musique en rond, Niggy Pop se charge d'être désagréable à écouter ('God Complex'), que ce soit par son intonation ou ses trouvailles lyricales à côté de la plaque. Heureusement, ces instants sont rares, et l'atmosphère générale qui englobe le disque autorise quelques fléchissements sans grandes conséquences. Surtout qu'après tout les morceaux les moins bons participent tout de même à une homogénéité bien calculée.

Au final, ce "Bird's Eye View" se révèle être un album sincère et généreux. Deux attitudes que l'on peut accorder aussi bien à Blackbird qu'à Paris Zax, puisque l'on peut objectivement parler d'une œuvre commune tant les rimes de l'un sont indissociables de la musique de l'autre. L'évidente symbiose ne se discute même pas. L'auditeur saura donc se satisfaire de cette union pour le meilleur (globalement) et pourra au loisir se replonger dans les méandres de l'esprit de l'oiseau noir, dont les mésaventures si communes ne manqueront jamais de se révéler touchantes. Une belle plume, un producteur inspiré, une ambiance très personnelle. Bref vous pouvez ranger ce nouvel opus juste à droite de "Dunhill Drone Committee" en attendant de pouvoir le coincer entre ce dernier et la prochaine sortie Alpha Pup.

Finesse
Décembre 2005
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Label: Alpha Pup
Production: Paris Zax
Année: Octobre 2005

01. Outro
02. Midnight Rider
03. Bear Witness
04. Wild Night
05. No Belief
06. Hella Ride
07. Lessons
08. High Plains Drinker
09. Glamourous Drunk
10. Confessions
11. God Complex
12. Survivor
13. Exit...

Best Cuts: 'Outro'; 'Holla Ride'; 'Lessons'

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