Qu'est-ce qui peut pousser un chroniqueur lambda à vouloir allumer son PC et écrire sur le premier album solo d'Haroun "Au Front" alors que cela fait plus d'un an qu'il n' a pas pondu une chronique pour son site chéri? La question est posée, la réponse est loin d'être évidente.
Serait-ce premièrement par nostalgie? En effet, le fait d'écouter un membre de la Scred Connexion a toujours été pour votre serviteur un moment particulier. La Scred, ce collectif de Barbes que beaucoup voyaient à la fin des années 90 comme le plus prometteur du rap français... mais qui n'a pas échappé à la règle voulant que rap et désillusions font bon ménage. De fait, jusqu'ici et malgré un parcours honorable, la Scred n'est jamais parvenu à rencontrer le succès escompté depuis la retraite de Fabe.
Il se peut aussi que quand on suit un rappeur depuis ses débuts, on pose naturellement un regard tendre sur ses projets. En effet, on a connu Haroun voilà 10 ans, à l'époque où il était un jeune producteur faisant ses premiers pas sur le mémorable EP de Koma "Tout Est Calculé". Le beat était assez simple: une batterie digne d'un home studio des plus rudimentaires accompagnée d'un sample tiré de "L'Arme Fatale". Le beatmaker débutait mais il avait déjà le chic pour trouver la boucle efficace, celle qu'on siffle toute la journée...
Cette caractéristique reste d'ailleurs sa première force, sur ce solo dont il compose la quasi-totalité. Haroun n'est pas du genre complexé. Il sample ce que bon lui semble (même le très Mickey 3D 'Respire') et il le fait bien. Des titres comme 'Au Front' ou encore 'Le Zonard' en sont la preuve. Sur ce dernier, le violon y est entêtant et dégage une mélancolie profonde qui nous tient en haleine tout le long du morceau. Les productions sortent incontestablement des machines d'un
boom bap lover, donc n'y cherchez pas des beats aux sonorités synthétiques ou "à la dirty south" (ni des sonorités profondémment novatrices d'ailleurs). Haroun revendique ses influences et les a bien assimilé, sans pour autant en être une pâle copie.
Peut être que cette envie soudaine de parler de cet album vient du fait que, tout comme Haroun, tout semblait bien beau au début, il y a encore une dizaine d'années, et que depuis les rêves se sont embrasés. Le fait d'être passé d'un optimisme plein de candeur à un réalisme cynique et froid, a laissé des traces qui ont du mal à cicatriser. C'est d'ailleurs l'un des thèmes phares de ce solo : la désillusion, et cette violence quotidienne qui nous ramène inlassablement à la case départ.
"Dans nos vies, y'a rien de magique, c'est soit déjà vu, soit tragique".
Ne comptez pas sur Haroun pour vous sortir des thèmes inédits, il parle de ce qu'il est, et son vécu demeure sa principale source d'inspiration. Cela pourra en fatiguer certains qui aimeraient un rap festif et faussement naïf (ou d'autres qui auront une impression de déjà entendu à l'écoute de certains passages), mais ce vécu fatigue surtout les personnes qui le vivent, donc que faire à part
"écrire des textes et foncer tête basse"?
En effet malgré un constat amer du contexte social actuel, Haroun ne se considère pas comme vaincu. Au contraire. Ce solo en est la preuve, sorti sur son propre label "Front Kick". Au fil des ans, le emcee de Barbes a compris qu'on n'est jamais mieux servi que par soi-même, et que c'est parfois bandant d'être indépendant ; voire même que c'est peut être la seule solution pour pouvoir sortir un disque dont il n'aurait pas à rougir dans le futur.
"J'ai commencé ma promo dans les couloirs du bahut, c'est maigre, mais c'est pas pour que ça finisse dans les poches de Pascal Nègre". Le message est clair : ce disque n'est pas fait pour aller dans le sens du vent. Par essence, le rap d'Haroun est bel et bien fait pour évoluer en marge.
Les différentes métaphores entre sa musique et sa femme sont là pour le prouver ; tel un amant fougueux, il promet fidélité et honnêteté à sa dulcinée ainsi qu'aux témoins de leur union. Ce qu'on peut dire en tout cas, c'est que ce treize titres tient ses promesses d'amour : les productions sont bonnes, et le rap à la hauteur de nos attentes. Haroun maîtrise aussi bien sa MPC que sa plume. Sa voix et sa diction claire font le reste, appuyant inlassablement tous ses dires pour que l'écriture coule de façon fluide. On se surprendrait presque à entendre le fantôme d'un Fabe lors de certains passages... Si Befa n'est bien entendu absent de ce solo, sa touche est encore présente et Haroun semble assumer parfaitement cet héritage, comme le prouve au hasard 'Voyous'.
Les autres membres de la Scred Connexion ne sont pas en reste, mais c'est clairement Mourad (le plus discret d'entre eux) qui tire son épingle du jeu, principalement en raison de la production sur mesure d'Haroun qui lui est proposé sur 'Les Routes de l'Oseille'. Cela n'empêche pas Koma et Mokless de sortir de bonnes phases qui font mouche sur le titre 'Ça Part En Couille' :
"On m'a dit dans la vie tous les gens se valent, le rêve est permis, moi j'mise mon RMI sur un cheval". Malgré ces bons mots, le morceau demeure néanmoins l'un des passages les moins inspirés du disque.
Ajoutons à ce léger bémol les deux interludes DJing de Cutee B et R-Ash qui n'apportent rien de fondamental au projet. Cependant les qualités de scratcheur de R-Ash font de 'Scratch Fury' une offrande explosive et sans doute l'un des meilleurs morceaux scratchés gravé sur sillon par un DJ français. Quand on sait l'intérêt que porte notre chroniqueur aux DJ's, cela ne fait aucun doute que ce titre de R-Ash a été une motivation de plus à l'écriture de cette chronique.
Les raisons ayant motivé la rédaction de ces quelques paragraphes sont donc multiples mais c'est avant tout, et tout simplement, parce que ce disque est bon qu'il se retrouve dans nos pages. Avec "Au Front", Haroun signe en effet un album solide qui prouve que, même en 2007, acheter un disque de la Scred Connexion demeure une bonne affaire.
Bachir Septembre 2007