Coaxial
Coaxial

Certains disques passent inexplicablement à la trappe, glissant entre les mailles du filet ou échappant aux échos du sonar, pour un instant d'inattention. Prenez ce premier essai longue durée de Coaxial par exemple. Coaxial, qui? Un duo signé chez GSL, en provenance directe des souterrains californiens (après une formation en Virginie du Nord), proche des Free Moral Agents et de The Mars Volta. Sur le papier, le groupe formé du emcee Beegs Alchemy et du beatmaker David K. réunissait donc pas mal d'éléments susceptibles de nous mettre la puce à l'oreille et d'attirer un tant soit peu notre attention… Et pourtant, ce n'est que plusieurs mois après sa sortie, quasiment par hasard, au détour d'une commande en ligne, que leur album éponyme atteint enfin nos oreilles. Comme quoi, la curiosité a parfois ses limites.

Petite séance de rattrapage. Après un premier EP "The Phantom Syndrome" prometteur un an auparavant, Coaxial profite de l'été 2006 pour dévoiler son premier LP. Pas forcément la meilleure des saisons pour publier un album froid et dur comme la glace, me direz-vous. Comme une confirmation, il aura fallu attendre le cœur de l'hiver 2007 pour que "Coaxial" se fraye un chemin jusqu'à notre platine. Ce n'est sûrement pas un hasard.

"The dark side, the frightened bride, the psycho side, the death ride, won't you kill me until I come alive!" Ce qui frappe d'emblée, dès les premières notes de 'It's Not My Voice', c'est l'ambiance lourde et oppressante que David K. parvient à mettre en place en une poignée de mesures. Au départ, juste quelques congas et un arrière-plan de chants religieux envoûtant pour installer le décor, puis soudain, une avalanche de rythmiques violemment industrielles nous prend à la gorge, soutenue par quelques nappes impérieuses et un piano grave. Le saxophone lointain qui parvient péniblement à se frayer un chemin au milieu de ce chaos soigneusement mis ne scène sonne presque comme un écho des trompettes de l'apocalypse. Un frisson nous parcourt immanquablement le bas de l'échine à l'écoute… et on se dit que l'ami David K. a du talent à revendre.

Un talent évident, qui sera d'ailleurs rarement démenti par la suite. "Am I insane or is everyone else crazy?" Avec ses atmosphères suffocantes, ses résonances mystiques et ses boucles hantées, "Coaxial" présente un univers paranoïaque très détaillé et cohérent, qui s'impose comme un modèle de ce hip-hop "expérimental" (terme fourre-tout s'il en est) dont le groupe se revendique haut et fort. Les tableaux proposés, tout en nuances de gris, laissent transparaître un réel savoir-faire de David Krepinevich dans cet art difficile. Leurs couleurs sombres donnent à voir tout un éventail de décors désertiques faits de guitares électriques dopées de reverb, de nappes atmosphériques évasives, de basses imposantes, de pianos hésitants et de déferlantes de percussions parcourues de secousses incontrôlables… Welcome to the future. Dans ces contrées dévastées, les nappes vibrantes de 'Once Against' ressemblent à s'y méprendre aux pales d'un hélicoptère survolant un chant de ruines et les quelques notes de flûtes traversières qui émergent parfois de la poussière sont les seuls rayons de soleil.

Même si les compositions évolutives de David K. rappelleront forcément un peu (beaucoup ?) le travail proposé par Def Jux à l'époque de sa gloire et que ces similarités constituent une force indiscutable (ces étranges symphonies de l'horreur se rapprochant par endroits des sonorités de "Fantastic Damage", rien que ça), ces ressemblances peuvent aussi rapidement apparaître comme une limite (le groupe devenant facilement étiquetable). Heureusement, à travers quelques pauses instrumentales méditatives qui permettent de sortir la tête de l'eau, Coaxial organise quelques intermèdes lumineux qui révèlent une mélancolie et une sensibilité intéressantes pour le futur. Pour autant, avouons-le, c'est bien dans la noirceur et dans les cauchemars éveillés que Coaxial se montre le plus à l'aise pour le moment.

Et dans ce registre annonciateur de la fin des temps, Beegs Alchemy est clairement dans son élément. "There were nights where the bright lights of Polaris formed ill conceptions / But now I walk the wastelands of idle torture with no directions / Drifting without control, it feels good for my stagnant soul / There's no light for me to follow, no flow of energy, everything is hollow". Il faut dire que la folie, la peur, la mort et l'introspection sont ses principales obsessions et qu'elles se retrouvent déclinées sous toutes leurs formes au fil de l'album. Quand l'ensemble est saupoudré d'un brin de science-fiction, de désastres nucléaires et de théories conspirationnistes, comme ici, on n'est jamais bien loin de la caricature du rapper indépendant tourmenté par ses visions.

"One hand on the earth and the other that's on hope. Smashed together, shattered and broken, left with anger as the only emotion […] It seems that tomorrow's gone and today's just a dream". Pourtant, il faut bien avouer qu'avec ses réflexions labyrinthiques, son vocabulaire technico-scientifique et ses mots compliqués aux résonances ésotériques, Beegs Alchemy colle plutôt bien avec les climats glaciaux affectionnés par son comparse et que ses divagations agitées font souvent mouche. On ne lui en tiendra donc pas rigueur…

Non, là où le bat blesse, c'est plus du côté de son flow et de sa "prestance" vocale. Souvent en retard, involontairement off-beat (comme sur 'The Obscure Torment'), Beegs lutte pour trouver ses repères sur les arrangements mouvants de David K. Lorsque ce dernier prend un malin plaisir à faire disparaître ses rythmiques sans prévenir, puis à les faire réapparaître encore plus puissantes quelques mesures plus loin, Beegs se prend souvent les pieds dans le tapis. Ca la fout mal… Du coup, vu la qualité des productions de David, on en vient souvent à se dire qu'elles méritaient sûrement une meilleure mise en valeur vocale que celle offerte par un Beegs à la traîne.

Mais l'instant d'après (enfin, pas toujours), quelque chose d'étrange se produit pourtant… Comme si emporté par ce rouleau compresseur de sons et par l'ésotérisme des textes, on ne trouvait quasiment rien à redire à ce emceeing hésitant. Comme si les imperfections, le manque de fluidité et la précipitation de Beegs participaient étrangement au sentiment d'urgence qui émane d'un 'Dragonsnot'. "Fuck civilized, I'm passionate". En outre, s'il pourra rapidement taper sur le système des auditeurs, on reconnaîtra au moins à Beegs Alchemy l'intelligence de laisser de la place aux productions de son compère, de ne pas trop les noyer sous le flot de ses mots. C'est déjà un talent en soi.

"Hypnotical shepherd wishes for me to count his sheep / So that he can probe my mind while I fall asleep […] It's not my voice that's inside my head, they've been controlling me and I am almost dead". Toutes choses prises en considération, Beegs et David K. signent donc un premier album sombre comme la nuit et dense (pour ne pas dire menaçant) comme les forêts ténébreuses qui ornent sa pochette. Avec ses enchaînements travaillés, "Coaxial" reste, malgré ses imperfections, un album brut et éprouvant qui doit beaucoup à la constance du travail fourni par David K… Etant donné que le pouvoir d'évocation et la noirceur éclatante de ses productions parviennent souvent à masquer (voire à transcender) les limites de son compère pour nous séduire, l'écoute de ce premier jet est fortement recommandée. Sans l'ombre d'un doute, un producteur est né. Espérons qu'il trouvera de nouvelles occasions de s'exprimer… de préférence sous d'autres latitudes.

Cobalt
Avril 2007
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Label: Gold Standard Laboratories
Production: David Krepinevich & Beegs Alchemy
Année: Août 2006

01. It's Not My Voice
02. Accept Your Insanity
03. Once Against
04. Recluse
05. Hello Andromeda
06. The Collapse of Polaris
07. The Obscure Torment
08. Illusion
09. Dragonsnot
10. Strange Days
11. Document The Monster
12. Mold
13. Galactic Tsunami

Best Cuts: 'It's Not My Voice', 'Dragonsnot', 'The Collapse of Polaris'

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