Malgré une déferlante de sorties de haut niveau ces dernières années (Roots Manuva, Aspects, Unsung Heroes, The Creators, Richy Pitch...), le public français peine encore à reconnaître le hip-hop britannique à sa juste valeur. Avec un statut de vétéran ultra-respecté Outre-Manche, un excellent "19 Long Time" sous le bras et un flow dynamique qui a fait ses preuves dans maintes battles, Blak Twang semble le mieux armé pour tenter de faire tomber les dernières réticences des b-boys français. Malheureusement pour nous, sa maison de disques a cru bon de sortir comme premier single en France une version aseptisée de 'So Rotton' avec en featuring Rohff pour promouvoir l'album... alors que l'original est une pure bombe. Dès lors, normal que beaucoup de monde se soit désintéressé de cette sortie. Surtout quand ils ont entendu le second single 'Trixstar', son refrain chanté et sa production horriblement synthétique... Et pourtant, c'est bien dommage car "Kik Off" est un bon album que Blak Twang éclabousse de sa classe naturelle.

Car Taipanic est un vrai acharné du micro, un de ces emcees au flow élastique intrépide qui sait se mettre en valeur à chaque mesure et donner du rythme à la prod la plus mollassonne. Un rap diablement dynamique où les bpm s'emballent facilement (une tendance qui a toujours été au coeur du son UK depuis Gunshot et le London Posse). Taipanic enfile les mots avec style dans des egotrips matinés de déclarations d'intentions, d'évocations des moeurs féminines, de prises de position, de références bien britanniques... et de clins d'oeil au ballon rond ('Kik Off' et ses scratches sifflants) en grand fan d'Arsenal. 'Warm Up' nous met dans l'ambiance avec ses guitares dissonnantes et confirme d'emblée que le vétéran ne compte pas faire de concession pour rencontrer dans son pays le même succès que les pantins jiggy du So Solid Crew. Il maintient solidement le cap au cours des 17 titres de "Kik Off"...

Sous le pseudonyme de Tony Rotton, Taipanic réalise la quasi-totalité de l'album. Avec les années, ses talents de compositeur se sont clairement étoffés. Il crée des beats solides, efficaces et souvent riches en détails où les influences new-yorkaises (voire le très Erick Sermonien 'Half'N'Half') mais aussi afro-caribéennes ('Blood And Fire') se font clairement sentir. 'So Rotton' avec Jah Mali se teinte ainsi d'influences ragga pour un hit en puissance dont le refrain trotte longtemps dans la tête et dont le beat fait swinguer. Des envolées de piano nostalgiques d'un 'Ain't Done 2 Bad' où il revient sur ses 28 ans de parcours au minimalisme claquant de 'Fire Power', du froid au chaud, Blak Twang montre qu'il a élargi le nombre de couleurs présentes sur sa palette et qu'il n'a besoin de personne pour assurer. En dehors du vétéran Rodney P, Harry Love, le producteur le plus en vue d'Angleterre depuis sa sublime collaboration avec J-Zone, est un des seuls intervenants extérieurs au Rottonus Crew sur cet album. Sa boucle de guitare chaloupée fait d'ailleurs un malheur sur 'On Line'. Pour le reste, "Kik Off" est clairement empreint de la forte personnalité de son auteur et respire la passion d'un authentique amoureux de la culture hip-hop qui a aussi su donner un côté scénique à ses morceaux pour mieux les présenter en live à son public ('Vow').

Bien sûr comme l'indiquent les singles choisis, tout n'est pas parfait ('Sum Ah Dem', 'Dirty Stopout') mais les incidents sont rares et dans l'ensemble Blak Twang passe haut la main la barre du second album et affirme un peu plus sa personnalité hors du commun. "Kik Off" est une des sorties anglaises les plus marquantes de l'année... sans que Taipanic ait eu besoin de réunir un gros casting autour de lui. Après Roots Manuva, Blak Twang confirme que les artistes solo britanniques ont un sacré talent. Chapeau.

Cobalt
Octobre 2002