Rares sont les disques de hip-hop japonais qui arrivent jusqu'à nos oreilles ; et en général, plus rares encore sont ceux dignes d'intérêt. C'est donc avec 3 ans de retard que l'on revient ici sur un groupe qui aurait assurément dû faire parler de lui plus tôt… Mais comme dirait l'autre, mieux vaut tard que jamais.
L'anonymat dans lequel évolue 8th Wonder reste cependant d'autant plus énigmatique que la musique de ce trio composé de Fake, KSK (emcees) et Masashi (beatmaker et MC vu récemment aux commandes du projet "Immigrate Us") est tout à fait dans la lignée de Tha Blue Herb - l'autre groupe nippon qui a réussi à s'exporter grâce au parrainage de DJ Krush. Ici aussi, la production est atypique et particulièrement bien sentie, loin du mal local qui consiste à copier vilainement l'homologue américain. Là aussi, les beats sont secs, proches de l'electronica. Les thèmes sont froids, les raps à rallonge et linéaires, bref, parfois assez ardus à tenir pour la majorité des non-nipponophones que nous sommes.
Mais à la différence de Tha Blue Herb, qui s'en tient à une ligne de conduite très épurée (parfois à la limite du supportable), 8th Wonder apporte à ses compositions une touche mélodique qui fait bien mieux passer la pilule. Ainsi sur cet EP "Triple Poets / Hanmu", on enchaîne des morceaux de 7 à 12 minutes sans craquer, happés que l'on est par l'évolution subtile des thèmes.
Le long morceau d'ouverture met de suite dans le ton, mettant en place un univers cinématographique très riche, à la croisée du space opera et de Blade Runner ; emcees et variations d'instru se succédant comme autant de chapitres à cette épique odyssée urbaine. Le morceau suivant est une petite perle toute en synthés vaporeux, relevée d'une subtile touche dramatique maintenant cette sensation d'insécurité. 'Triple Poets' est le morceau rentre-dedans, forcément un peu moins subtil, mais où la paranoïa va en grandissant, des voix menaçantes résonnants de toutes parts, trafiquées, agressives, fantomatiques, rebondissants sur une ligne de piano toute en tension contenue. Enfin, le dernier morceau conclut magistralement le EP en s'ouvrant sur un battement de coeur qui se métamorphose en beat puis évolue tranquillement…
De leur côté, les emcees ne se font pas trop envahissants et laissent assez intelligemment la place aux compositions déjà bien chargées de Masashi, comme s'ils étaient conscients de ne pas avoir besoin de trop en faire pour que leur musique inspire ses auditeurs (fussent-ils étrangers). Pas de doute, 8th Wonder est un groupe mature qui sait intelligemment tirer parti des qualités de son producteur et s'affirme comme l'une des plus forte identité sonore de l'île.
Un EP bien rempli au final, alternant comme sur leur précédent exercice court ("Eternal Triangle", sorti en 2001) titres agressifs et planants, beats rentre-dedans et claviers éthérés. Sans jamais sombrer dans la mauvaise parodie, les japonais de 8th Wonder se bâtissent peu à peu une jolie discographie en espérant qu'elle suscite un jour le même intérêt que celle de leurs aînés de Sapporo. Ils le méritent au moins autant.
Pseudzero Novembre 2006