The Nonce, c'est avant tout un album: "World Ultimate". Monument incontournable (mais souvent occulté) d'un certain rap californien. Sommet des balbutiements discographiques de l'école Project Blowed. The Nonce, c'est aussi quelques productions inoubliables pour Aceyalone ou Supherb et un bel EP "The Sight of Things", passé à la trappe de manière incompréhensible. Mais The Nonce, c'est aussi et avant tout une alliance de rêve, comme on n'en fait plus. L'accord parfait entre le timbre fragile et unique de Yusef Afloat et l'assurance réconfortante du flow coulant de Nouka Basetype. L'équilibre idéal entre des productions jazzy aux atmosphères envoûtantes et des textes raffinés fleurant bon la passion du hip-hop. Un son qui coule de source. Malheureusement, The Nonce, c'est aussi une belle histoire fauchée en plein vol par la mort violente de Yusef Afloat à l'aube du 21 ème siècle. Une mort qui avait logiquement signée l'acte de décès de The Nonce et poussée Nouka à prendre le patronyme de Sach pour mieux tourner la page.
Nous voilà 5 ans après cet épisode tragique, et 10 ans après la sortie de "World Ultimate". Le temps a fait son œuvre et les adeptes de west coast underground, de plus en plus nombreux, commencent à se replonger à juste titre dans les racines de cette scène bourgeonnante. Le nom de The Nonce revient (heureusement) souvent sur les lèvres. Pour Sach, même si elle reste confidentielle, sa carrière solo est au beau fixe. "Seven Days To Engineer", "Suckas Hate Me", "5th Ave": les albums se suivent et la réussite est quasiment toujours au rendez-vous. Le timing était donc parfait pour que Nouka revienne sur ses premiers faits d'armes et rende une dernière fois hommage à Yusef. Aidé dans sa tâche par Omid et par La2thebay, Sach a donc pris un peu de temps pour fouiller dans ses archives afin d'en extraire une poignée d'inédits de The Nonce qu'on croyait voués à l'oubli.
"Advanced Regression" et "The Right State of Mind", résultats de cette chasse au trésor, survolent toutes les phases de la collaboration de Nouka et Sef. Bien sûr, la qualité sonore n'est pas toujours fantastique et certains titres (ceux datés de 1992) sentent bon les enregistrements 4 pistes des mercredi après-midi et des jours d'école buissonnière.
"Day in, day out / As far as I remember / We was at the crib / On the Saturday / Almost everyday of the week". Ce sont justement ces ingrédients faits maison, ces petits détails, qui permettent de suivre pas à pas l'évolution des 2 compères et qui rendent ces tranches de vie si attachantes. Si on devait coller des étiquettes en préambule, on dirait que "Advanced Regression" rassemble toute l'insouciance, la légèreté et le bouillonnement créatif des premières années de The Nonce tandis que "The Right State of Mind" se teinte d'un voile plus sombre, parfois désenchanté…
Expliquons-nous un peu: "Advanced Regression" déborde de boucles de saxophone habilement entrecroisées, d'ambiances acid jazz enveloppantes, de lignes de contrebasse généreusement balancées, de cuts musicaux, de guitares douces et d'une multitude d'autres idées musicales calées dans les recoins de chaque titre, partout où il y a de la place… Pour un rap tout en douceur, tout en finesse; un son posé, confortable mais jamais statique où l'on se sent tout de suite à son aise, où les refrains se calent dans un coin de la tête en une poignée de secondes. Quelque chose d'un ATCQ porté sur ce jazz cool qui faisait déjà le bonheur de la Californie dans les fifties. Mais au-delà des comparaisons hâtives, derrière les facilités apparentes se dissimule un esprit foncièrement à part et novateur. Ainsi, dès qu'un semblant de posse cut se profile ('Crew Jam'), Nouka fait de son mieux pour mettre en valeur sa petite compagnie en construisant une composition évolutive où chaque mesure révèle une nouvelle surprise. Ca saute aux yeux: encore apprentis et fauchés à l'époque, The Nonce sont déjà maîtres de leur art. Sinueux, aérien et sensuel en diable, le remix de 'Scope'n Out The Honeys' aurait bien mérité sa place sur "World Ultimate"!
Et les rimes sont au diapason. Débités avec une aisance déconcertante, elles exhument un parfum de simplicité et d'authenticité qu'on aimerait entendre plus souvent de nos jours. Dès l'introduction où Sach revient sur la naissance du groupe, on se retrouve plongé dans cette époque où le rap était avant tout une passion, où tout y était moins vénal, moins caricatural, plus libre... Au même titre que son glorieux prédécesseur, entre attachement viscéral à l'underground et fascination pour la gent féminine, "Advanced Regression" penche plus volontiers du côté de la douceur de vivre californienne que de la violence gratuite des rues de Compton. Ancré dans son époque (voire 'Hats' et son message sur les dangers du sexe non protégé) mais loin d'être statufié, il conserve un potentiel fraîcheur intact grâce au talent de ses 2 auteurs et à leur complémentarité évidente.
De l'autre côté du miroir, "The Right State of Mind" révèle la face cachée du duo, le passage à l'âge adulte. Avec sa nappe atmosphérique, son clavier sombre et son beat sourd, 'Test The DM' installe d'emblée le décor.
"Ever grey / Even though we live in sun rays / But they don't filter through the pressure". Seuls les cuivres joueurs de 'Old School Rap' viendront un court instant éclairer le ciel pluvieux qui s'étend ici à perte de vue. Plus minimaliste, plus lancinant, plus froid que "Advanced Regression", "The Right State of Mind" est en tout cas un hypnotique puissant… Notes de kalimba, claviers entêtants, craquement de vinyles, vibraphones frémissant étrangement sur des basses quasi-muettes: tout semble plus fragile. A l'image de 'Check Book' (seul titre de ces 2 opus à avoir déjà fait surface par le passé), le jazz se fait moins présent ou moins visible. Et on déambule en somnambule dans des décors intimes et prenants qui préfigurent déjà au niveau sonore les travaux solo à venir de Sach.
L'évolution mentale du duo est aussi palpable. Désormais, entre deux egotrips, Sef et Nouka évoquent les dangers de ce monde déshumanisé, parlent de cet argent qui pourrit les gens et s'envole en un rien de temps ou évoquent froidement le statut de leur communauté qui, embourbée dans son marasme, continue de subir le harcèlement combiné d'une économie sans pitié et de forces de l'ordre aux préjugés tenaces.
"In this nation, all I see is separation"... Comme pour nombre de leur contemporains, leur innocence s'est envolée. Cible de choix, les wack emcees en prennent donc pour leur grade… A nouveau, l'alchimie des deux amis et le pouvoir d'attraction des productions parvient à sublimer le spleen qui remonte parfois à la surface, comme une ombre fugace du triste destin de Yusef Afloat.
Au final, avec ces 2 EP's en forme d'antithèses, Sach fait un dernier clin d'œil d'adieu à son ancien alter-ego et à son ami défunt. Pas de déchets, peu de fonds de tiroir (au total, seuls 3 titres font un peu du sur-place), une bonne dizaine de superbes titres qui ne pouvaient décemment pas rester à jamais dans les archives du membre fondateur de Global Phlowtations… Un hommage de fort belle facture en somme. Alors certes, vu leur durée, Sach aurait facilement pu réunir ces deux mini-albums en un seul et unique opus d'une heure. Mais on ne lui en voudra pas une seule seconde d'avoir multiplié les plaisirs pour mieux clarifier les différentes périodes traversées par The Nonce. Ces 2 sorties inespérées donnent en effet encore plus de relief à la carrière avortée du groupe qui l'a vu éclore au grand jour. Plus que jamais, The Nonce reste l'une des aventures les plus passionnantes que les souterrains californiens nous aient offerts. Une aventure à laquelle "Advanced Regression" et "The Right State of Mind" constituent deux superbes épilogues.
"So shake the dust off your kicks and know the West is in the mix!"
Cobalt Juillet 2005