Il y a une vie au nord de New-York. On n'ira pas jusqu'à parler de poumon de la côte Est, mais Boston reste un bastion relativement préservé des récentes déceptions rapologiques venant d'une côte Est de moins en moins inspirée. A Boston il y a Mr Lif, il y a Insight, il y a Edan… il y aussi le camp de base des membres du label Record Company Records. On a souvent reproché au label son côté amateur, des albums où se mélangent le très bon et le beaucoup moins bon, une distribution à l'arrache… Des défauts qui font aussi le charme de RCR. Les choses sont en tout cas en train de changer. Cet album des My Mans N'Them en est la preuve.
Enfin un "vrai disque" diront certains, avec une vraie pochette, un vrai boîtier, un vrai tracklisting… sommaire mais plus professionnel tout de même. My Mans N'Them est le groupe que forment deux rappeurs du label de Jeep Jack : le déjà bien connu Yukonn Mc (dont la discographie en solo repose sur le seul "Attack Of The Grizzly" mais qui est à l'œuvre sur un bon paquet de hits extraits des compilations RCR) et le petit nouveau Oak Lonetree (dont on annonce déjà le premier album solo "Sound Hungry" comme une des excellentes surprise de l'année 2005). Une combinaison au micro qui séduit d'entrée sur l'imposant 'Grandizer' à la production urbaine, très New-Yorkaise de Egadz, enrichie par les guitares séduisantes de L.Contra. La complémentarité de Yukonn et Oak saute aux oreilles d'emblée, l'un dans une tonalité sèche avec une articulation très décomposée, l'autre avec un timbre plus gras, plus gangsta. Une complémentarité dont l'efficacité ne se dément jamais tout au long de l'album. Notamment sur 'The Anthem', hymne oppressant dont le refrain provoque les sursauts de Oak et Yukonn, à base de "Yo Yo Yo !". En France on dirait qu'ils représentent.
Le début du LP est donc particulièrement séduisant. Les MMNT blaguent, font leur promo, où se lancent dans des discours anatomiques, des bras jusqu'aux jambes, avec Zaire Black ('Anatomy III') sur une production originale de Jeep Jack, tout à fait dans le style du patron. Même l'instrumental un peu faiblard de Egadz ne parvient pas à rendre complètement mauvaise la ballade alcoolique qu'est 'Beers For Breakfast'. Tout le mérite en revient au très convaincant Oak Lonetree, aussi à l'aise sur le beat du morceau qu'avec ce thème qu'il décline avec brio. Nul doute que le houblon dès le petit déjeuner, ça le connaît. On passera le 'Hard Times In The City', avec C Da Editor, qui confirme la mauvaise passe de Egadz et entre dans le ventre mou du disque au même titre que la petite pause sans relief composée par Frank White ('A Blues Break'). Au rayon dispensable (on les fait tous d'un coup comme ça après on n'en parle plus), à noter le 'Unstoppable' avec Warlok, dont la présence de Yukonn derrière les machines ne m'a pas convaincu à suivre la suite de sa carrière de producteur.
Jeep Jack réussit au milieu de ce passage à vide un de ces potages dont il a le secret, à base de voix féminines, de samples cinématographiques, de petits accords et d'un beat sec qui claque par saccades. Les MC's donnent le change et ça fonctionne à nouveau ('Can't Look Back'). Tout comme sur sa reprise du 'What You Got' de Justin Timberlake, où, habillé du pseudonyme de Timber Jack, il revisite le hit du kid de Memphis et donne l'os à ronger à Oak et Yukonn ('Side A Side B'). Un Jeep Jack donc, qui parvient avec Jungle Josh (qui fait swinger les MC's invités sur 'C'Mon Get Down') à redonner du souffle à l'ensemble, dans un registre différent du début du LP. Une fin d'album plus enjouée qui va toutefois un peu moins bien au teint d'Oak et Yukonn.
Pour que l'album soit une totale réussite il aurait peut-être fallut éviter cette dispersion qui fait qu'on navigue parfois difficilement des ambiances froides d'Egadz à celles plus colorées d'un Jeep Jack pleinement dans son registre. Mais pour cela il aurait aussi fallut un Egadz à la hauteur tout au long du disque. Ce dernier conclut d'ailleurs l'affaire avec un 'Grandizer II' pas tout à fait au niveau de ses meilleurs productions du disque, mais qui permet tout de même de constater une dernière fois l'aisance technique des MMNT sur un beat rapide qui met en valeur les accélérations de Yukonn. Après écoute on se dit qu'il aurait été judicieux d'inviter des rappeurs plus compétitifs aux cotés des MMNT (pourquoi pas Microft Holmes ou même Edan ?), ou alors de ne pas charger l'album de ces featuring dont on ne retient rien au final.
Malgré tout, le LP, avec un L.Contra dans le rôle du "monsieur plus" qui vient poser sa patte sur une bonne moitié des morceaux, propose un paysage sonore propre où les idées s'infiltrent par petites touches dans un univers qui rassurera l'auditeur de rap lambda. Pas très aventureux, mais souvent convaincant, il révèle surtout deux rappeurs qui n'ont rien à envier à certains de leurs compatriotes (dont je tairai le nom pour ne pas froisser certains de mes collègues) à la réputation établie malgré un flow des plus anodin. Mention spéciale à Oak Lonetree dont la "gangsta attitude" amène un vrai coup de frais chez RCR. On attend très vite des nouvelles du label en 2005, avec les disques de Oak Lonetree et du petit beatmaker qui monte, Kid Rolex.
Checkspire Février 2005