Danger Doom
The Mouse And The Mask

"Keep your streets. We got the city neatly conquered". Pas besoin d'une promotion démesurée, "The Mouse And The Mask" était déjà avant sa sortie l'événement rap de cette fin d'année! Après plusieurs mois dans l'antichambre, cette union avec Danger Mouse est à coup sûr l'album qui va officiellement faire découvrir MF Doom à un nouveau public aux proportions inespérées pour celui qui était totalement à la dérive dix ans en arrière, détruit par la mort tragique de Sub-Roc. Tel le phénix, Doom s'est relevé à mains nues des cendres de KMD, plus fort, plus puissant, inarrêtable, insaisissable… "He came to blow like it was strapped to his nappy chest / Surely I jest, the best on a wireless mic not an eye test". Producteur émérite, Doom sait pertinemment que lorsqu'il délaisse la MPC pour se concentrer sur le micro, il se doit de trier sur le volet ses beatmakers pour ne retenir que les meilleurs. Jamais là où on l'attend, il a cette fois-ci choisi de s'unir avec le co-auteur de "Ghetto Pop Life". Il faut dire que depuis le buzz mondial généré par son "Grey Album" (dû aussi bien à sa qualité qu'à son interdiction à la vente pour cause de sampling exclusif des Beatles), Danger Mouse est entré en concurrence avec le monotone 9th Wonder pour le titre le producteur "underground" le plus demandé de sa génération. Si on pourra toujours discuter du bien fondé de cet engouement démesuré qui l'a vu prendre les commandes du second opus de Gorillaz, c'est un fait: Danger Mouse est partout et tout le monde en parle. Un peu comme MF Doom d'ailleurs. Toujours aussi omniprésent dans les bacs depuis le début des années 2000, l'ancien Zev Luv X semble avoir constamment une dizaine de projets en cours. "Operation: Doomsday", "Vaudeville Villain", "Take Me To Your Leader", "Madvillainy", "MM.. Food" : la liste des coups infligés à la concurrence depuis sa résurrection n'en finit pas de s'allonger et n'est visiblement pas prête de s'arrêter. Reste à voir la puissance et la qualité technique de ce nouvel uppercut…

Si Doom n'enfile pas de nouveau masque ou de nouvelle identité pour cette énième union, il se devait quand même de marquer le coup. Friand de comics et d'aventures déjantées, à l'instar de Danger Mouse, Daniel a choisi de jeter son dévolu sur l'étrange série d'animations "Adult Swim" qui fait le bonheur des insomniaques arrêtant leur attention flottante sur Cartoon Network au beau milieu de la nuit. Une série où le second degré et le sarcasme règnent en maîtres. Comme ici. "We ain't all that grown, it's still funny".

Pour mettre en musique cet univers, Danger Mouse opte pour une large palette de couleurs, souvent pastels. Pas de doute, le compère de Jemini The Gifted One a un talent indiscutable pour assembler des compositions riches et détaillées qui caressent agréablement l'oreille et stimulent gentiment les neurones. Du beat ultra-minimaliste d'un 'Mince Meat' orientalisant à l'ambiance unplugged classieuse d'un 'Cross Hairs' en passant par un 'Perfect Hair' doomien à souhait, il confirme sa capacité à piocher des samples dans tous les genres musicaux et à éviter de s'enfermer dans un style. Parfois linéaires, d'autre fois en mouvement constant, ses productions se refusent à rentrer dans une case. Ici une flûte féerique, là une basse rebondie, ailleurs des violons titubants, des congas funky ou des cuivres ensoleillés: la bande-son du cartoon réserve pas mal de surprises. Malin, Danger Mouse tire ses meilleures cartouches en début de parcours pour se mettre tout le monde dans la poche. Pour 'El Chupa Nibre', juste avec un xylophone angélique et une nappe fantomatique, il confectionne un instru mystérieux qui reste en retrait et met idéalement en valeur le phrasé épais du Super Villain.

Pourtant, comme sur "Ghetto Pop Life", au fur et à mesure que les titres défilent, on ne peut s'empêcher de trouver la majorité des compositions de Danger Mouse trop policées. Trop calculées, périssables, à l'instar d'un 'Benzie Box' sans âme qui utilise à bien mauvais escient le chant de Cee-Lo pour un résultat mou du genou et un brin racoleur. Faute de corps, de gras, de souffle, de montées d'adrénaline incontrôlées, les confections de DM sont condamnées à rester de jolis objets sonores qui comblent l'auditeur lors des premières écoutes mais dont l'intérêt s'effrite rapidement. De jolis objets bien propres mais artificiels, auxquels on ne trouve pas de défaut criant, mais qui peinent à imprimer durablement notre esprit. Connaissant le talent de Doom pour transcender des instrus un peu plats ou pas forcément adaptés à sa personnalité, pas de quoi tirer la sonnette d'alarme pour autant, se dit-on.

Surtout que les premiers titres dévoilent un Dr. Doom des grands jours, dont la formule secrète n'est pas prête d'être déchiffrée. "Order a rapper for lunch and spit out the chain / Then kick a lungy of the tip of his Timbo / And trick a honey dip into a game of strip limbo". Images incongrues, argot tranchant, egotrips à la troisième personne, scenarii venus de nulle part, mises en abîme, punchlines enfantines, digressions constantes, allitérations en chaîne: Doom joue autant (sinon plus) avec la sonorité et le pouvoir évocateur des mots qu'avec leur sens. "Sprinkle lyrics like seasoning beef stew / And sneezin' all in it after breathin' in the flu". Fraîchement alcoolisé et solidement ancré dans le bitume new-yorkais, le super méchant s'amuse à rappeler quelques vérités immuables ou à crucifier en une strophe sèche les pantins tatoués qui glorifient la violence dans leurs rimes. Derrière les battle rhymes de rigueur, il soigne aussi son statut de mystère rapologique non résolu (Doom se dévoile très peu sur "The Mouse And The Mask" en dehors des souvenirs d'enfance de 'Old School'). Qui d'autre que lui pourrait apporter sérieusement sa contribution au renouvellement des sujets d'un rap qui tourne en rond en faisant d'un titre urologique comme 'Vats Of Urine' une vraie démonstration lyricale? Kool Keith mis à part, personne. Virtuose du surréalisme, il déroule ses rimes comme autant d'éléments d'un patchwork aux couleurs étranges et à l'humour absurde. Si la recette ne change donc pas radicalement, elle se parfume néanmoins d'une nouvelle effluve sous la forme de références constantes aux personnages récurrents d'Adult Swim (qui font d'ailleurs des incursions fréquentes dans le cours de l'album lors des interludes reliant les morceaux).

Mais si le génie créatif de Doom n'est pas à remettre en doute, sa motivation semble s'émousser au fil des projets. Les pronostics vitaux ne sont pas encore engagés mais à de nombreuses reprises, on le sent moins dynamique, moins mordant que sur un "Vaudeville Villain" par exemple. Cette grosse fatigue est-elle due à la suractivité? A des effets secondaires anesthésiants de certaines productions de Danger Mouse? A une consommation abusive de bière? Quoi qu'il en soit, le contraste est saisissant lorsque Ghostface prend sa suite sur les violons guerriers de 'The Mask' et dévore l'espace avec la même énergie que lors de ses premiers jours au sein du Wu, se remémorant pour l'occasion l'époque où il arborait constamment un masque ou une cagoule et que personne ne connaissait son visage. Doom paraît bien pale en comparaison! "The beat is like a sweet kick in the rear end"? Et bien, Doom devrait prendre des beats qui le bottent plus fort. En tout cas, on a l'impression qu'il traverse toute la seconde moitié du LP sans grand entrain, ne parvenant pas à faire décoller le projet après un démarrage enthousiasmant.

Finalement, la nouvelle montagne new-yorkaise accouche donc d'une jolie petite souris pleine de malice. Mais d'une souris quand même. Une souris en plastique. Ne soyons pas trop durs pour autant. A défaut de révolutionner son époque ou de marquer durablement nos tympans, "The Mouse And The Mask" a quand même le bon goût de nous faire passer 40 minutes agréables ponctuées par quelques instants de grâce. C'est déjà bien, me direz-vous. Mais on pourra difficilement s'en contenter pleinement vu les promesses de l'affiche. Plus accessible et moins dense que les autres projets portant la signature de MF Doom, mais surtout moins personnel et plus surfait, ce projet sera à n'en pas douter un véhicule efficace pour propager le virus Metal Face dans de nouvelles oreilles… mais il restera au final un disque mineur dans la discographie de l'ancien KMD.

Cobalt
Novembre 2005
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Label: Epitaph / Lex Records
Production: Danger Mouse
Année: Octobre 2005

01. El Chupa Nibre
02. Sofa King
03. The Mask (feat. Ghostface)
04. Perfect Hair
05. Benzie Box (feat. Cee-Lo)
06. Old School
07. A.T.H.F. [Aqua Teen Hunger Force]
08. Basket Case
09. No Names [Black Debbie]
10. Crosshairs
11. Mince Meat
12. Vats Of Urine
13. Space Hos
14. Bada Bing

Best Cuts: 'El Chupa Nibre'; 'Basket Case'; 'Perfect Hair'

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