Pour le grand public, Jazzy Jeff n'est que le compère marrant de Will Smith : l'hilarant Jazz du "Prince de Bel-Air" que l'oncle Phil foutait régulièrement dehors d'un bon coup de pied au cul. Pour les turntablists, il est un dieu vivant : l'inventeur du transform et de nombreuses techniques passées aujourd'hui à la postérité. Pour les amateurs de rap, il est surtout associé au pop-rap léger de Will ou à la nu-soul de Jill Scott et Musiq Soulchild. De cette situation un peu complexe, Jazzy Jeff semble... se foutre royalement. De toute façon, comme il le dit lui-même, avec tout l'argent qu'il a gagné aux côtés du Fresh Prince, il pourrait s'arrêter aujourd'hui. Mais l'amour de la musique est trop fort et, désormais libéré de toute contrainte financière, le DJ fait ce qu'il lui plaît se moquant des étiquettes et des normes... pour le meilleur.
BBE a eu du flair une fois de plus en lui donnant carte blanche pour réaliser avec l'équipe de A Touch of Jazz son premier album "solo" dans le cadre de la série Beat Generation. A l'image du parcours musical éclectique de Jeff, "The Magnificent" touche aussi bien au rap (en majorité), qu'à la soul ou même à la house (juste un titre). L'album s'ouvre sur un hommage au parcours de Jeff courtesy of Baby Blak & Pauly Yamz : 2 emcees emblématiques de l'esprit du projet. En effet, plutôt que de recruter des grands noms paresseux, Jazz a privilégié les talents bruts à la recherche de reconnaissance qui ont su donner le meilleur d'eux-mêmes sur chaque titre. Les seules "stars" du projet sont des valeurs sûres : J-Live, Jill Scott, Freddie Foxxx et Shawn Stockman (Boyz II Men). The Last Emperor, éternel "futur sauveur du rap" privé d'un deal correct, et Baby Blak, protégé de Kutmasta Kurt, sont les seuls autres participants à avoir une certaine notoriété. Pour le reste, ce sont des artistes underground de Philadelphie qui ont le droit de cité. Parmi eux, Pauly Yamz fait vraiment forte impression. Que ce soit sur les guitares enivrantes de 'For Da Love Of Da Game' où il nous fait part de sa dévotion totale au hip-hop ou sur 'Know Ur Hood' où il met symboliquement en garde les jeunes des dangers de la rue, il est remarquable.
Le niveau lyrical est par ailleurs bien supérieur à la moyenne des projets de ce type. Même les titres rap à vocation festive, portés par un groove subtil, évitent la facilité et le populisme et s'avèrent réellement séduisants ('Musik Lounge', 'Shake It Off'). Parmi les grosses pointures, J-Live brille bien sûr avec l'autobiographique 'A Charmed Life' tandis que Bumpy Knuckles incarne une fois de plus avec délectation son rôle de redresseur de torts sur 'Scram'. Chez les vocalistes, on a aussi fait des efforts d'écriture. Si Shawn Stockman chante encore l'amour guimauve, Raheem ou Erro nous ramènent à l'époque bénie où R&B ne rimait pas avec niaiserie en n'hésitant pas à évoquer le malaise des ghettos ('My Peoples'). Jill Scott se démarque avec une adaptation spoken word du 'We Live In New York' du jazzman Roy Ayers où elle met poétiquement en lumière l'importance de Philly dans l'histoire américaine.
Une identité sonore philadelphienne qui est fortement présente. Cette douce ambiance organique à base de samples soul, de beats discrets, de claviers aériens et de lignes de basse live (cf. The Roots) qui caresse l'esprit et incite à la relaxation. Ce juste dosage entre boucles et parties jouées... A mi-chemin entre Pete Rock et Curtis Mayfield pour ainsi dire, avec une "touche de jazz". Et avec en sus l'omniprésence des scratches experts d'un Jazz qui n'a pas oublié de reconnaître le talent de ses héritiers en invitant une jolie dream team de turntablists à poser sur 'Break It Down' aux côtés de J-Live. Entouré de Kenwood, Kevin Brown et P Smoovah, Jeff a su rassembler autour de lui un team de producteurs-musiciens talentueux dont les goûts variés contribuent à donner toutes ses couleurs à ce sublime patchwork musical.
"The Magnificent" est proprement enivrant, loin des postures hardcore et du cloisonnement de l'industrie rap actuelle. Il se déguste comme la bande son idéale de cette fin d'été, histoire de mettre un peu de soleil dans les têtes et de bonne zique dans les oreilles. Probablement le meilleur album de la série Beat Generation. C'est dire...
Cobalt Août 2002