"Enta Da Stage", "Dah Shinin'", "Nocturnal", "Da Storm"… Autant d'albums dont la simple évocation suffit à donner des frissons à tous ceux qui ont vécu la période glorieuse du début des 90's. Autant d'albums dus à un seul crew issu de Brooklyn : le Boot Camp Clik. Un crew qui avec les fidèles Beatminerz à la production a contribué à redonner à New-York sa position centrale dans le hip-hop après le règne momentané du G-Funk californien. Avec des beats lourds et caverneux, des identités vocales fortes, des flows teintés d'influences ragga et une attitude agressive, le Boot Camp s'était constitué un public dévoué prêt à acheter toutes les sorties de leur label Duckdown. Tout le monde attendait avec impatience l'album qui réunirait Black Moon, Smiff'N'Wessun (a.k.a. Cocoa Brovaz), Heltah Skeltah et O.G.C. sous la même bannière. Le Lp arriva en 1997 sous la forme d'un "For Da People" déroutant et mal reçu par la base… Le public commença à détourner son attention vers d'autres horizons tandis qu'une vague de seconds albums très décevants des différents protagonistes contribua à emmener le BCC dans les profondeurs. Malgré un sursaut avec l'excellent "War Zone" de Black Moon, Priority se sépara de Duck Down en 2000 laissant le crew en déconfiture. On les croyait enterré après le départ du charismatique Rock mais c'était sans compter sur la ténacité des membres du BCC qui sont restés soudés et nous reviennent aujourd'hui avec le second album du crew. Un album renaissance…
Le crew semble avoir retenu les leçons de l'échec de "For Da People" et s'est resserré autour de son noyau dur en mettant de côté les seconds couteaux cette fois-ci. Ce sont donc bien comme on l'espérait Buckshot, Tek, Steele, Ruck, Starang Wondah, Louieville Sluggah et Top Dog qui sont aux commandes. Ils nous livrent des récits comme on les aime : ancrés profondément dans le béton new-yorkais (avec un peu de maturité en plus). Le groupe a aussi compris que leurs fans voulaient une production de qualité… Pour le prouver d'entrée de jeu et écraser tous les doutes de leur auditoire, le collectif a demandé à Curt Cazal (du duo QNC) de leur dénicher une boucle de guitare acoustique inoubliable et un beat monstrueux laissant filtrer quelques craquements de vinyles. Sur le monumental 'And So', les emcees évoquent leur retour à la rue pendant le hiatus suivant 1999 avec une honnêteté brûlante et annoncent leur retour tonitruant en multipliant les passe-passe microphoniques. Le meilleur couplet revient sûrement à Sean Price (a.k.a. Ruck) :
"I guess I'm back where I started / Open up for Buckshot/ And just rappin' retarded I hate the life that I'm livin'/ I need it/ Don't believe me/ Ask my wife and my children". Du grand Boot Camp !
La collaboration avec Alchemist 'Let's Get Down 2 Bizness' qui suit directement cette tuerie, même si elle n'est pas inoubliable, se montre plaisante grâce à un beat d'outre-tombe qui convient bien aux déclarations du crew qui menace de s'en prendre aux labels qui les ont trop longtemps roulés dans la farine et les ont poussés à prendre la voie de l'indépendance sauvage. Ces 2 morceaux symbolisent à eux deux la mise à jour efficace que le crew entreprend vis-à-vis de son empreinte sonore sur cet album en introduisant de nouvelles têtes dans son entourage tout en évitant de tomber dans le simple casting de grands noms. Ainsi le producteur qui fait la plus forte impression ici est le nouveau venu Coptic qui livre une excellente composition pour l'hommage rituel que le BCC rend à son quartier sur 'Welcome To Bucktown USA'. Son autre contribution est l'instru de 'The Chosen Few' qui, même s'il reprend quasi-intégralement la structure du 'Tomorrow I May Not Feel The Same' qu'il sample, s'avère judicieux pour l'occasion. Sur ces morceaux, le BCC parvient donc à nous surprendre quelque peu dans son univers musical tout en restant fidèle à ses racines.
Cependant la fête est entachée par quelques collaborations peu réussies à cause de productions indigentes. Parmi ces déceptions, qui lorgnent souvent un peu trop fort du côté bounce de la force, on compte 'Whoop His Ass' et 'That's Tough' (dû à Bink). On compte surtout 'Ice Skate' plombé par un instru qui confirme qu'Hi-Tek commence à devenir très saoulant depuis qu'il tente sans cesse de recopier son succès 'Round & Round' (beat saccadé/refrain R&B). On compte aussi de manière plus étonnante le 'Let's Roll' sans relief d'un Baby Paul qui connaît pourtant bien la maison.
A côté de ces associations inédites (réussies ou avortées), le Boot Camp a su penser à ses fans de longue date en leur donnant ce qu'ils attendent d'un album estampillé Duck Down : des productions des Beatminerz. Elles sont peu nombreuses mais elles assurent un quota toujours appréciable de bon son. S'ils se font discrets sur 'Daddy Wanna' où les rappers évoquent de manière sincère leur amour pour leurs enfants et leur désir de les éduquer de la meilleure façon possible, Mr Walt et Evil Dee lâchent la grosse artillerie pour l'offensif 'Had It Up 2 Here' avec une composition minimaliste, sombre, hypnotique et diabolique comme aux plus beaux jours.
Dans l'ensemble, en se départant des atmosphères caverneuses qui lui collaient à la peau depuis trop longtemps tout en évitant (la plupart du temps) l'écueil des productions plates qui avaient sonné le glas de leurs dernières sorties, le Boot Camp Clik retrouve une seconde jeunesse et livre un album solide bien plus appétissant que "For Da People". Tout n'est pas encore réglé au millimètre mais les membres du crew ont toujours faim et "The Chosen Few" a le mérite de réinstaller le BCC sur la carte de belle manière. Comme le suggère le design du Lp qui représente les membres de la clique en joueurs d'une équipe de basket seventies, le BCC n'est plus tout jeune mais il n'en est pas moins toujours rempli de talent et il reste la dream team d'emcees soudés qu'il a toujours été. En tout cas, tous les amateurs du Boot Camp Clik devraient jeter une oreille à ce retour en force du collectif en attendant les nouveaux albums de Sean P et Cocoa Brovaz.
Cobalt Novembre 2002