Orko The Sycotik Alien
Atoms Of Eden

"Rules Of Thumb", "Doomsday Prophet", "Dreadlocks Incense & Oil", "Elohim Soundwave Scientist", "Eyemagedon"… On ne compte plus les projets lo-fi attribués à Orko The Sycotik Alien depuis la fin des années 90. De qualité très variable, ils lui ont néanmoins permis de se faire peu à peu un nom dans la très dense scène west coast underground. Si son inclusion au sein du crew Global Phlowtations lui avait déjà donné il y a quelques années l'occasion d'obtenir une notoriété plus importante dans nos contrées, il a ces dernières semaines définitivement ancré son flow exceptionnel dans l'inconscient collectif hip-hop. Et ce, en un seul projet : sa diaboliquement réussie alliance avec Big Justoleum Lune Tns pour le projet Nephlim Modulation Systems. En tant que responsable de ce premier missile scud dirigé vers le Pentagone "Woe To Thee O Land Whose King Is A Child" (qui s'avère être l'un des sommets de 2003), Orko a montré qu'il avait atteint la maturité artistique que ce soit en tant que producteur ou en tant qu'emcee. Jouissant donc d'un rayonnement inédit, il sort à point nommé son nouvel album "Atoms Of Eden" pour permettre à un auditoire assoiffé de connaissance de mieux le cerner.

"Atoms Of Eden" se démarque d'emblée des précédents opus d'Orko Elohiem du fait de sa sortie sur le label Plague Language (maison réputée de Noah 23 et Barracuda 72). Car c'est Orphan, la tête pensante du label canadien, qui a pris en charge la majorité des productions de l'album, y trouvant là une occasion inespérée de laisser libre cours aux velléités drum & bass qu'il avait déjà exhibé à plusieurs reprises sans totalement pouvoir se lâcher. Là où il était autrefois contraint de circonscrire ses démonstrations d&b en fin de morceau, il peut ici faire à sa guise et il ne s'en prive pas. En effet, comme son projet avec D.Engine "The Drum And Breaks Movement" l'avait déjà montré, Orko a un goût certain pour la jungle et pour les bpm survitaminés. Et dans ce genre, Orphan fait preuve d'une maîtrise insoupçonnée. Partant dans une multitude de directions au cours d'un même morceau, il arrive avec talent à conserver une réelle cohérence dans ses compositions. Intelligemment, il sait alterner envolées jungle sauvages et rythmiques plus conventionnelles pour séduire les fans de hip-hop peu coutumiers des bpm épileptiques et des nappes atmosphériques. Il rend ainsi l'aventure passionnante en nous emmenant constamment sur de nouvelles voies et en naviguant entre des passages posés voire mélancoliques et des portions oppressantes à la violence industrielle.

Utilisant souvent les mêmes ingrédients, à savoir des nappes de violons cinématographiques posés de manière aérienne sur des beats jungle froids et souvent enrichies d'une boucle de piano sombre ou de quelques notes de guitare acoustique, Orphan parvient pourtant à dessiner des paysages sonores très diversifiées. Les bpm survitaminés se suivent mais ne se ressemblent pas, parfois épicés par les scratches survoltés de DJ Tension. On note cependant quelques authentiques coups de maître : un 'Eternal Law' d'ouverture idéal, la trompette sombre et récurrente de 'Innerspace Massive', les violons déchirants de 'Macro Babylon', 'Outbreak' ou 'Double Helix', la guitare sèche de 'Future Evolution', la course poursuite 'Drop Your Weapon' ou encore le feeling de fin du monde de 'Human Technology'. Mais aussi le renversant 'Terminal Mathematics' qui s'ouvrent des superpositions de breaks de hi-hats jazz puis se fait dissonant avant de laisser place à une guitare acoustique mélodique pour enfin se terminer dans une apothéose de percussion tous azimuts.

Sur ce terrain miné, Orko fait des merveilles. Son flow fluide et technique à souhait n'est jamais pris à défaut malgré les pièges disséminés dans les fresques audio d'Orphan (qu'elles soient purement hip-hop ou radicalement jungle). Domptant le rythme, l'apprivoisant de sa voix hypnotique, Orko rayonne et réussit là où des centaines ont échoué. Et ce avec une facilité déconcertante. Mieux, Orko semble communier avec les beats d'Orphan. En effet, sa maîtrise impressionnante de son phrasé sonne étonnamment spontanée et naturelle… L'expérience y est sûrement pour quelque chose. Et les nombreux collègues qu'il a conviés à sa table sont aussi à ranger dans la catégorie des emcees doués. En particulier, on distinguera Odessa Kane qui nous scotche littéralement une fois de plus par son flow multi-syllabique sur chacun des 4 titres où il intervient. Les invités font tous bonne figure… Même l'échappée ragga de Cosmo Lexus sur 'Innerspace Massive' s'avère excellente.

Le débit insatiable d'Orko doublé à un vocabulaire ésotérique rendront la compréhension des textes assez ardue pour les non-anglophones. Mais il serait dommage de passer à côté des lyrics de l'Elohiem californien. Mélange unique de mysticisme, de paranoïa, de théorie conspirationniste, de religion, de mises en garde contre la perversion de la technologie et de commentaires sociaux, l'univers d'Orko est de ceux où il ne faut faire confiance à personne d'autre qu'à soi-même. Un univers entre science-fiction et pure réalité où la nourriture est empoisonnée pour nous garder dans un état de léthargie constante, où l'information est manipulée à un niveau global, où l'eugénisme est à l'œuvre, où tout est fait pour maintenir dans la pauvreté et la peur une partie du globe, où le gouvernement implante des puces électroniques dans tous les crânes pour contrôler les pensées… Un univers où on se demande aussi comme il le dit : "Who's the real axis of evil?". Car, oui, par endroits on retrouve la même véhémence à l'encontre du gouvernement US actuel et les mêmes avertissements vis-à-vis d'un nouvel ordre mondial que dans ses couplets enflammés en tant que NMS ('Terminal Mathematics'). Dans le monde d'Orko, les rappers commerciaux ne sont que des réplicants, des cyborgs de vrais emcees dénués d'âme. La parenté avec Phoenix Orion est alors évidente et leur collaboration sur le superbe 'Micro Babylon' donne lieu à des étincelles.

Au sein d'"Atoms Of Eden", un titre se détache directement par sa différence. Seul titre produit par Orko lui-même, 'Wack As Fuck' est un parpaing lancé dans la mare des pompeurs de style, opportunistes et autres vendus au grand capital. Séance de tir à vue sur tous les rappers qui ne lui reviennent pas et qu'il n'hésite pas à nommer (The High & Mighty, Non-Phixion, Cash Money, Master P…), 'Wack As Fuck' est un des plus beaux exemples de rage brute de ces dernières années, un brûlot intense mis en relief par le piano sombre et le beat tellurique d'Orko.

Pour empaqueter le tout, les 3 titres instrumentaux cuisinés par Orphan et dispersés au cours du LP sont tout autant remarquables. Agissant comme des soupapes stratégiques pour laisser l'occasion à l'auditeur de reprendre ses esprits après les avalanches de rimes d'Orko, ils nous permettent d'y voir plus clair tout en maintenant la pression. Et quand la fumée se dissipe, même si la tension est quelque peu tombée en fin d'album, une conclusion s'impose : "Atoms Of Eden" est une perle. Un album touffu, riche, sombre, parfumé de saveurs uniques et de quelques titres qui réalisent une synthèse idéale entre rap et drum & bass. Un album qui voit Orko franchir un palier supplémentaire en trouvant en Orphan un producteur à sa (dé)mesure. "Atoms Of Eden" est tout simplement le meilleur album d'Orko… et l'un des grands moments d'une année 2003 déjà riche en évènements. Ne passez pas à côté et priez pour que la collaboration d'Orko avec Plague Language soit longue et prolifique.

Cobalt
Juillet 2003
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Label: Plague Language
Production: Orphan, Orko
Année: Mai 2003

01. Eternal Law (feat. Odessa Kane)
02. Terminal Mathematics (feat. Odessa Kane)
03. Wack As Fuck
04. Innerspace Massive (feat. Cosmo Lexus)
05. Macro Babylon (feat. Phoenix Orion & Okito Lexicon)
06. Outbreak (feat. Odessa Kane & StapleMouth)
07. Double Helix (feat. Sumach & Odessa Kane)
08. American Fear
09. Human Technology
10. Symphony Of Light (feat. Ambush)
11. Future Evolution (feat. Imiuswi, Okito Lexicon & Zagwu Brown)
12. Yacub Biotech Engineer
13. Deadly Force
14. Art Of Deception
15. Drop Your Weapon

Best Cuts: 'Innerspace Massive', 'Wack As Fuck', 'Micro Babylon'

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