"It's Very Stimulating" aura pour le moins divisé le petit microcosme hip-hop. Certains ont crié à l'imposture ne voyant en Paul Barman qu'un MC de pacotille prenant le rap à la rigolade. D'autres, comme moi, se sont réjouit de la fraîcheur et de l'audace du protégé atypique de Prince Paul. Combinant des productions inventives sublimes à des lyrics second degré à l'humour potache, ce Ep montrait les deux Paul au sommet de leurs arts respectifs. Tout en décalage et en provocation bien entendu... C'est donc avec une certaine impatience que l'on attendait le premier essai longue durée du grand juif binoclard de Long Island.
Dès que l'on entrouvre la pochette de l'album, on est agréablement surpris par le format du livret. En effet, celui-ci se présente comme une parodie de journal quotidien "The Jew Dork Rimes" contenant les lyrics de Paul ainsi que ses dessins, un brûlot anti-guerre et des avis jetés sur le papier. Une originalité dans la présentation que son mentor Prince Paul n'aurait pas renié. Mais, cette fois-ci comme prévu, Prince Paul ne fait que de la figuration, en ne produisant qu'un seul titre : le sympathique 'Bleeding Brain Grow'. Car Paul B a décidé de voler de ses propres ailes et de montrer qu'il est un artiste à part entière. Pour pallier à cette absence de taille, il a cependant eu le bon sens de recruter un MikeTheMusicGuy qui semble connaître sur le bout des doigts les secrets de l'homme derrière "Three Feet High & Rising". Sur les 7 titres à sa charge il met ainsi en place des ambiances de cartoon délirantes et théâtrales où tous les samples sont permis, où les instruments acoustiques ont leur place, où les bruitages sont utilisés à toutes les sauces et où tout part dans tous les sens ('Paullelujah', 'N.O.W.'). Sans atteindre les pics créatifs du Prince mais en s'inscrivant clairement dans sa continuité, Mike fait du bon travail. En plus, ses suppléants ne sont pas des petits joueurs. Le méconnu Phofo inscrit son nom dans nos tablettes avec chacun de ses tracks (en particulier le beat mystique qui sert de support aux battle rhymes lettrés de 'Excuse You'). Et qui a dit MF Doom? Car oui, c'est bien l'auteur de "Operation : Doomsday" qui est à la production sur les 2 parties du récit métaphorique de 'Anarchist Bookstore'. Et avec quel talent ! Excusez du peu !
Mais assez parlé des invités! Car au final, c'est bien votre niveau d'appréciation de MC Paul Barman qui conditionnera (presque) entièrement votre jugement sur "Paullelujah!". Il est net que son flow hors-limites, plus qu'off-beat, en rebutera plus d'un et restera probablement un facteur rédhibitoire pour les non-anglophones. Car, pour Paul, ce sont bien les textes, les allitérations et les jeux de mots qui comptent. Débordant d'idées et de rimes, il semble parfois courir après le rythme tentant de rentrer un maximum de rimes dans un espace réduit. Cette technique douteuse est à la fois l'handicap et la force de Paul. Soit on aime, soit on déteste. Elle le rend incompétent aux yeux de certains et attachant aux yeux des autres et aux miens... En tout cas, Paul a une authentique passion pour le rap et propose une personnalité inédite dans le paysage actuel. Sorte de trublion cultivé, de bouffon intellectuel, de poète rigolo, il use de l'auto-dérision, du surréalisme et de la puérilité pour mieux faire passer ses idées à grand renfort de palindromes et de vocabulaire. Réticent à la poésie de salon, il truffe ses textes de références scientifiques mais dénigre la présomption du spoken-word (voir à ce sujet les un peu inutiles 'Talking Time Travel' et 'A Somewhat New Medium'), préférant nous expliquer rigoureusement les phénomènes physiologiques qui se cachent derrière les "bruits corporels" ('Burping & Farting'). Mais "Paullelujah!" confirme qu'en plus d'être un comique Paul réfléchit. A côté de la provocation et des fantasmes d'un salace 'Cock Mobster' où il nous livre la façon dont il aimerait "déguster" ses stars favorites, il y a ainsi quantité de remarques sur l'éducation et la société. Il y a aussi sur le faussement nostalgique 'Old Paul' toutes ces réflexions acerbes et justifiés sur les critiques qui l'ont incendié sans raison dans le passé. Sans prétention, il nous fait rire tout en nous donnant à penser... Qui d'autre le fait aujourd'hui dans l'univers trop sérieux du rap indépendant?
"Paullelujah!" sera donc une vraie joie pour tous ceux qui avaient apprécié "It's Very Stimulating". C'est l'album que l'on espérait. Décalé, drôle, intelligent, varié et rythmé, il parvient à faire oublier l'absence de Prince Paul tout en conservant la folie intacte. Une bouffée d'air... Paul Barman ne s'attirera peut-être pas les faveurs de nouveaux fans avec ce Lp mais il satisfera à coup sur son auditoire de base. Pari réussi.
Cobalt Novembre 2002