Il était une fois une Guerre des boutons bactériologique commencée par ces mots : "Finiiie la misère!". Le Klub Des 7 est le dernier salon où l'on cause. Bien sûr on pense à l'Atelier, dont l'exposé a eu lieu il y a trois ans déjà. Trois des anciens élèves subsistent, en haut et à gauche de leurs copies on peut déchiffrer les patronymes de Fuzati, Cyanure et James Delleck. Le rap français en goguette. Rendez-vous de six emcees prolixes et d'un scratcheur efficace, le Klub Des 7 va vous surprendre : c'est avant tout une aventure musicale. Le pari (pas forcément gagné d'avance) de faire tenir toutes les personnalités associées à ce projet dans une même barque sonore est tenu. Nous sommes vite et longtemps conquis par des boom-baps de bon ton, des tintements à l'avenant. Les productions ont toutes l'intelligence de ne pas prendre le dessus, de laisser poser les interprètes. Cependant, les samples nous marquent, tant ils respirent le funky style et donnent un digne aperçu des années soixante-dix en version Buick décapotable. Les caisses claires sont nettes, les cymbales maîtrisées, altières. Mention spéciale pour la boucle que Fuz, le perdant magnifique, dépose sur la dernière plage rappée. 'Daniel Du Château' : un son tout droit sorti d'une vielle série télé matée en milieu d'après-midi, flanqué d'un dépit frôlant l'anesthésie. Le chef d'orchestre du Klub Des Loosers signe l'intégralité des productions de ce disque et montre une fois de plus que son talent s'exprime au moins autant derrière sa machine qu'au micro.
Dès le début du disque, la patte du précieux album "Vive la vie" est présente, par ses thèmes dépressifs et son flow lancinant. Mais bientôt, le premier invité nous est présenté: c'est Fredy K, rescapé d'ATK (tout comme Cyanure), groupe auteur il y a huit longues années du plus que correct album "Heptagone". C'est déjà différent et l'originalité de l'ensemble va se dessiner petit à petit. A mesure que les membres du Klub se succèdent et lèvent un coin du voile sur leur univers dérangé, une conviction se forge en notre for intérieur : après avoir déclaré leurs troubles enfouis sur des rythmes légers, nos sept jeunes gens iront mieux. Et tout ira bien. Première moitié du duo SF un peu barge Gravité Zéro, un James Delleck façon Batman vieille école s'aventure sur un terrain qui glisse et s'avère être un coup pas trop mauvais. Il parle de son organe plutôt bien, ledit Julien ayant "souvent du mal à tisser des liens parce qu'il ne dit jamais je t'aime mais plutôt à demain". Autre moitié du duo, Le Jouage s'éclate dans la peau d'un croque-mort exubérant. Gérard Baste, membre des Svinkels (et à ce titre co-auteur de chants virils tels que 'J'pète quand j'crache') se montre particulièrement à l'aise dans l'art de la fausse modestie : oui, boire ça l'excite, et alors? Quant au toujours très bon Cyanure, avec 'Homme normal' il investit le trouble du mythomane et donne une belle ampleur à son flow rapide et habité. Dans un même registre, l'impact est sans conteste plus durable que celui d'un Cuizinier dans ses street tapes.
Unique freestyle collectif, 'La Réunion secrète' est la pierre de touche de l'édifice. Habilement placé au centre du disque, ce titre est à la fois entraînant et jubilatoire. Taillé pour la scène, il prend une couleur supplémentaire chaque fois qu'un nouveau emcee prend la parole. On y trouve aussi les meilleures inspirations de chacun. Fuzati qui cultive son propre mythe :
"J'ai connu des échecs en apprenant à jouer aux dames / Armé d'un silex j'essaye de rallumer la flamme". Cyan, qui en deux vers exorcise un certain vécu du rap français :
"Rappeurs déchus, lapidés par des fans déçus, destins sordides / Disques collectors que tu trouveras en vide grenier la semaine de sa sortie". Le Jouage enfin, qui adopte des tournures étranges et tombant tout à fait bien. Il prévient :
"Vous finirez tous dans mon pensionnat triste et fleuri", et c'est l'image à laquelle le disque entier fait penser, finalement.
On peut trouver que les paroles de certains titres tournent en rond et en effet 'Le Parapluie', 'A l'époque' et 'J'ai grandi dans ça' sont parfois anecdotiques. Mais leur production réserve tout de même des trouvailles de sobriété, une efficacité musicale qui va bien au-delà d'un simple hommage à l'histoire du rap, nommément la période New School de la première moitié des années 90, à New York. Les interludes sur répondeur ne sont certes pas révolutionnaires, mais on les apprécie comme de bons contrepoints, avec une dédicace spéciale au vénal Yaya et à son "cours de géranium"… Au bout du compte, ce disque est le gage d'un bon moment répété, un devoir qui mérite son seize sur vingt tant son style est enlevé et tant il contient de perles. Parmi les plus fines, punchlines héroïques pour la postérité, citons
"Dans un monde sans merci personne n'apprend à dire de rien" ou encore
"J'achète des disques encore plus rares que les plaisirs de la vie"…
Billyjack Juin 2006