King Britt. Aux oreilles de certains, ce nom n'évoquera pas grand chose et nombreux sont ceux qui se sont demandés qui était cet obscur producteur qui avait l'honneur de figurer aux côtés de DJ Spinna, Pete Rock, Jay Dee ou Marley Marl dans la prestigieuse série "The Beat Generation" initiée par le label anglais BBE. Pourtant, King Britt est loin d'être un nouveau venu puisqu'il est l'un de ceux qui a donné ses plus belles heures de gloire au jazz-rap au début des années 90 au sein du trio Digable Planets. En deux albums : "Reachin' (A New Refutation Of Time And Space)" et "Blowout Combs", le groupe a livré deux monuments du rap mellow intelligent et deux œuvres phares de la grande ère du sampling. Jeune prodige de Philadelphie, King Britt était alors le DJ discret qui officiait aux platines sous le pseudonyme de Doodlebug. Lorsque l'aventure Digable Planets toucha à sa fin, Doodlebug monta le label Ovum, endossa le patronyme de King Britt et initia le projet Sylk130. Dès lors, il s'imposa peu à peu comme un producteur-remixeur de grande classe dans les domaines de la house et de la soul rythmée. A tel point que sa renommée dans ce domaine dépasse aujourd'hui de loin celle obtenue auprès du public hip-hop… Pourtant pendant ce long exil musical, King Britt gardait dans son cœur le projet de faire un album rap pour revenir à ses premiers amours. C'est aujourd'hui chose faite grâce aux généreux bienfaiteurs de BBE.

Grand adepte des concept-albums devant l'éternel, c'est tout naturellement que King Britt nous invite dans ces "Adventures In Lo-Fi". Cette fois-ci, pour donner un peu de profondeur à son œuvre, l'attention de notre hôte cinéphile s'est portée sur un film de science-fiction pas comme les autres : "The Brother From Another Planet" de John Sayles où un extraterrestre muet de forme humaine et noir de peau se retrouve échoué à Harlem et tente de s'intégrer à la vie terrestre avant de se retrouver confronté à toute l'étrangeté de notre civilisation. En transposant cette histoire dans le cadre du hip-hop, "Adventures In Lo-Fi" prend une dimension conceptuelle des plus intéressantes. Pour jouer The Brother, King Britt a recruté Rich Medina. De sa voix de basse profonde, il nous guide dans cette expédition et nous fait part de ses sentiments au travers d'interludes narratifs spoken word qui nous resituent l'avancement de son histoire et sont l'occasion de commentaires éclairés sur l'American Way of Life et ses dérives. Forts de ses connexions dans le milieu musical et probablement désireux de concrétiser des envies qui le tenaillaient depuis des années, King Britt a invité sur son album un nombre important d'artistes. Du fait de cette diversité, il est clair que le concept n'est pas vraiment suivi au long du LP en dehors des intermèdes du Brother Rich Medina… mais on ne s'en plaindra pas car la qualité est au rendez-vous.

La seule à vraiment coller au thème de l'album, c'est la grande Bahamadia qui dès le départ place la barre très haut. 'Transcend' est en effet un hit incontournable. Sur une ligne de basse chaude et des nappes de synthé addictives, Bahamadia nous raconte sa rencontre inopinée avec l'alien héros de notre aventure. Détaillé, rythmé, ce récit prouve une fois de plus le talent d'écriture unique de la BB Queen et confirme le talent de concepteur sonore de l'ex-Digable Planets. Pour le reste, les textes dévient largement de l'idée initiale pour toucher des terrains plus familiers et souvent teintés d'egotrip (si ce n'est le 'Che Sara Sara' de Miss Saigon qui évoque les femmes battues… en français dans le texte). A la suite de Bahamadia, c'est ainsi Lord Quas qui vient se poser sur le funk galactique minimaliste d'un 'Spaces' digne des meilleures productions de "The Unseen". Madlib nous sort un de ces textes délicieusement décalés dont il a le secret. Ailleurs, c'est Capitol A qui frappe fort sur un 'Caught Out (There)' mémorable dont la structure basé sur un sample vocal utilisé comme rengaine est inspiré de l'aveu même de King Britt par le 'I Don't Know' de Slum Village. On retrouve aussi un Dice Raw attaquant avec hargne le sautillant 'Rise & Vibe' mais ne parvenant pas à se diversifier peinant une fois de plus à confirmer les espoirs placés en lui depuis 'The Lesson Pt.1'. On aperçoit Pos et Trugoy de De La Soul pour le remix dansant d'un titre déjà dispo sur un des projets antérieurs de KB. On voit enfin un Grand Agent engagé ('Stay Free'), quelques artistes underground de Philadelphie ainsi que l'envoûtante Lady Alma (vocaliste pour Sylk130) qui vient enjoliver de son chant bon nombre de titres de ces "Adventures In Lo-Fi" et en particulier la soul raffiné mais chaloupé de 'Love's Time'. Mais on retient surtout la brillante collaboration avec Cherrywine… qui n'est autre que l'ancien Butterfly, leader des Digable Planets. Autant le dire tout de suite, cette réunion tant attendue tient toutes ses promesses. A travers un morceau épique en 3 mouvements, elle nous fait regretter définitivement la séparation du trio. De l'alliance basse/batterie minimaliste qui ouvre le titre jusqu'au funk spatial qui le cloture, on est sous le charme. Au bilan, comme vous le voyez, du beau monde est convié sur cet album qui fleure bon l'harmonie et la classe.

Car, intelligemment, King Britt n'a pas profité de ce concept futuriste pour abuser des nappes de synthé expérimentales et il a eu la bonne idée de mettre au goût hip-hop l'empreinte sonore qui a fait son succès par ailleurs. Les réussites sont nombreuses comme nous venons de l'évoquer. Privilégiant une texture sonore enveloppante, il sait s'adapter à ses invités tout en conservant sa personnalité. Une personnalité qui se caractérise par des instrus jazz/funk classieux mais minimalistes, souvent relaxants (voir ouatés), parfois plus directs mais toujours portés par des basses profondes, quelques nappes ambient et des breaks originaux. Le tout parsemé de quelques touches abstraites. King Britt montre que même dans le hip-hop sa patte est bien identifiable. En dehors de brèves incursions dans la soul et le spoken word, il nous offre un volet de "The Beat Generation" plus strictement rap que les 2 derniers (DJ Jazzy Jeff & DJ Spinna) alors que l'on aurait pu s'attendre au contraire de sa part. Du coup, cette surprise n'est pas pour nous déplaire. Néanmoins, si l'on devait faire un reproche à King Britt, ce serait justement cette trop grande unité sonore qui le dessert. Parfois, surtout dans la seconde moitié de "Adventures In Lo-Fi", les morceaux semblent se fondre les uns dans les autres sans vraiment se distinguer. Il faut dire qu'avec 22 titres KB s'est montré un peu gourmand et qu'il est normal que notre attention retombe par endroits. En dehors de ce léger manque de diversité et des libertés que les invités prennent avec le concept de départ, "Adventures In Lo-Fi" constitue une addition de valeur au catalogue sans cesse grandissant de la série Beat Generation. Il permet de plus à King Britt de se faire un nom dans le domaine de la production de 'rap lounge'… Et il sera à n'en pas douter un achat heureux pour tous ceux qui ont apprécié l'ouverture d'esprit des précédents volumes de l'aventure BBE et ont envie de découvrir l'univers d'un autre producteur de talent.

Cobalt
Avril 2003