Grape-A-Don et Lord Grunge forment Grand Buffet. Sans contexte, le groupe de rap le plus décalé de l'autre côté de l'Atlantique. Originaire de Pittsburgh et actif depuis la fin des années 90, le duo s'est fait connaître en Europe en partageant l'affiche avec Sage Francis ou Sole. Pourtant, musicalement parlant, Grand Buffet n'a pas grand-chose à voir avec les membres de l'écurie Anticon.
Après quatre albums fort mal distribués ("Sparkle Classic" en 2000, plus trois EP's, sortis entre 2001 et 2003 et qui composent la série désormais culte "Pittsburgh Trilogy"), Grand Buffet se paie aujourd'hui le luxe de revenir avec un Best-of intitulé "Five Years Of Fireworks". Grape-A-Don et Lord Grunge ont bien fait les choses puisque cet album est accompagné d'un DVD qui contient des images de concerts, de la vie quotidienne du groupe sur la route et en backstage, ainsi que quelques clips low budget. En clair, c'est le pack parfait pour le néophyte qui ignore encore tout des méfaits des irrésistibles Grand Buffet…
Autant le dire de suite, l'humour, l'autodérision sont les points forts du duo. Grape-A-Don et Lord Grunge multiplient ainsi les sobriquets les plus tordus (Fred Durts et Mr. Pennsylvania, M-Dog et Iguanadon ou encore Matt et Nate Kukla) et abordent dans leurs morceaux des thèmes totalement déjantés qui frise le plus souvent l'absurde. Au hasard des titres, on tombe ainsi sur un 'Double Crazy' en forme d'hymne scatologique ou sur un '100 Percent' qui voit Lord Grunge admettre qu'il lui est arrivé de déféquer dans son froc… Sur 'Cool As Hell' et 'You're on Fire', le duo devise sur l'enfer et sur tout l'intérêt qu'il y a à faire allégeance à Satan.
Sarcastique, Grand Buffet est un groupe à prendre au dixième degré… Surtout lorsqu'il s'agit de railler les valeurs chrétiennes et conservatrices de l'Amérique profonde qui a massivement voté pour Bush, comme sur 'Americus (Religious Right Rock)' :
“We're not holier than thou, but holy cow! / There's people doing stuff God would never allow! / Like guys kissing guys, and poor people too / There's plenty of jobs, find something to do!”. Ou encore toujours sur le même titre, au sujet de l'avortement:
"Abortion is pretty fucked up / If you don't want a kid, then don't be a slut”.
Musicalement, Grand Buffet est totalement inclassable… Les prods (essentiellement imputables à Lord Grunge) sont variées et influencées par la synth-pop, l'esprit dadaïste, le punk hardcore des années 80, l'electro kitsch ou encore le rap californien des années 90 - phénomène plutôt intriguant pour un groupe basé en Pennsylvanie - comme en témoigne l'excellent 'Cool As Hell'. Synthétiquement, on pourrait dire que Grand Buffet est un groupe de blanc-becs américains limite white trash, dont le nerd-rap se situe à mi-chemin entre l'Eurodance et l'Eurocrunk ('Benjamin Franklin Music', 'Matt And Nate'). Certains morceaux résolument catchies sont ainsi clairement calibrés pour le dance floor, à l'image du jouissif 'Things That Go Hump In The Night'. Lord Grunge n'a d'ailleurs pas son pareil pour faire péter des chorus ironiquement épiques et autres refrains entêtants avec un style tout à fait inimitable ('You're On Fire', 'Oh My God you're Weird', 'Candy Bars'). Quand à Grape-A-Don, il assure, avec un certain talent, la quasi-totalité des passages rappés de l'album. Son flow pourrait rappeler celui d'un Robust, si ce dernier s'était enfin décidé à être heureux…
Dans ce décor, les lyrics disponibles dans le livret (plutôt cocasse) du CD sont un plus indéniable. L'auditeur peut ainsi rentrer de plein pied dans l'intimité de ce duo attachant qui semble définitivement tourner une page avec la parution de cette compilation sur Fighting Records. Un petit détail qui ne trompe pas : les deux acolytes qui avaient l'habitude d'écrire
"no label, no fan, no problem" sur leurs précédentes pochettes, se sont ici fendus d'un
"label, fans, problems" qui prend tout son sens au visionnage du sympathique DVD bonus qui laisse souvent le spectateur mort de rire, devant le comique de certaines situations
. Alors, certes "Five Years of Fireworks" n'est pas l'album de la décennie, mais il n'en vaut pas moins le détour. Ne serait-ce que pour son originalité, sa bonne humeur contagieuse et sons sens aigu de l'ironie… Ce disque parle au gosse qu'il y a en nous. L'été arrive, ça pourra toujours servir, soyez-en sûr.
Kid Charlemagne Juin 2006