Régulièrement, Philadelphie et ses alentours voient surgir de leurs entrailles des artistes qui viennent amener un peu de fraîcheur et de sang neuf. De Cash Money à Binary Star en passant par Schooly D, Jazzy Jeff & The Fresh Prince, DJ Kool, Grand Agent et bien sûr The Roots, Philadelphie reste une des capitales de l'ombre du rap depuis ses balbutiements. A en croire une certaine presse, Philly reste fidèle à la tradition en nous offrant aujourd'hui les Schoolz of Thought ; la nouvelle sensation d'Illadelph couronnée en 2001 du titre très convoité de meilleur groupe philadelphien de l'année suite à 2 singles remarqués ('One Of Those Dayz' et 'World Wide MC's'). Après de nombreuses tournées aux 4 coins des Etats-Unis et du monde, deux morceaux remarqués sur "The Beat Suite" de DJ Spinna, un rare EP, quelques brèves escapades solo et des apparitions sur "The Embodiment Of Instrumentation" de Scratch, le groupe nous revient au grand complet pour son premier essai longue durée avec l'aide de Groove Attack. Revue des effectifs pour bien remettre les idées en place chez tout le monde : Schoolz of Thought se compose de pas moins de 3 emcees/producteurs (Intense, Syntax et Speaque-eazie), d'un DJ (Bronze F.M.) et du précité Scratch… accessoirement membre des Roots et beatboxer de renommée mondiale. Amis de longue date, tous les acteurs de cette joyeuse bande se sont unis il y a quelques années pour défendre ensemble un hip-hop authentique et conscient mais aussi amateur des ambiances feutrées et jazzy. Une amitié qui se concrétise aujourd'hui à travers ce premier LP : "From Thought To Finish".

Grâce à leurs amitiés avec Spinna ou les Roots mais aussi grâce au buzz qui les entoure depuis quelques mois, Schoolz of Thought ont réussi à s'attirer les faveurs de producteurs recherchés. A commencer par ?uestlove qui leur offre ici un 'In Liquid Form' remarquable et indéniablement "rootsien". Relaxante, caressante, sa production constitue un canevas idéal pour les rimes du trio. Elle nous fait regretter que l'on n'ait pas le droit à plus de leurs collaborations ici. Le trop rare 88-Keys dont on attend avec impatience le premier album solo dans le cadre de la série The Beat Generation de BBE est l'autre tête d'affiche qui est venu prêter renfort à SOT. Auteur de trois productions, 88-Keys ne convainc que partiellement. Si 'Perpetual Motion' relaie bien l'idée de mouvement mise en avant dans les paroles, elle s'avère trop répétitive. 'Everythingsallright' est diablement efficace avec ses quelques notes de guitare et sa basse slappé mais elle tire sur des ficelles trop prévisibles et sonne trop calibré pour les radios pour qu'on se laisse prendre au piège. En fait, seul 'It's Going Down' s'avère réellement satisfaisant… Mais quelle réussite ! C'est un coup de maître sacrément envoûtant. Une basse enveloppante, un sample discret, quelques notes de claviers bien placées et ce petit quelque chose qui est propre à 88-Keys. Syntax et Speaque-eazie n'ont plus qu'à poser leurs rimes et à tenter d'éduquer les débutants sur les règles du jeu musical actuel pour que l'on soit définitivement conquis. Moins renommé, le producteur D-Smooth montre qu'il porte bien son nom en se fendant d'un 'One Of Those Dayz' jazzy tout en nuance et en douceur qui agit comme un baume sur notre esprit et d'un plaisant 'These Things You Say'. Les autrichiens The Waxolutionists font aussi une apparition remarquée sur 'Never Seen Before' avec une boucle de piano bien trouvée et une ligne de basse sinueuse du meilleur cru.

Néanmoins, le groupe a voulu montrer qu'il était autonome au niveau de la production et qu'il n'est pas tributaire du bon vouloir de ces pointures et autres sous-traitants pour créer des instrumentaux de qualité. Ainsi, Intense et Syntax se sont pris en main et montrent à plusieurs reprises qu'ils ne sont pas totalement manchots derrière les manettes. Pour autant, ils ne sont pas non plus des foudres de guerre. Pour un 'Awake' réussi ou un 'Heart & Soul' saupoudré de cuivres bien agencés, il y a autant de samples grillés, de prods insipides ('Natural Disaster') et de pure infamie ('Get The Fuck Up'). L'irrégularité est donc leur maître mot. De plus, malheureusement pour nous, Scratch a cru bon de réitérer ici l'expérience des beats entièrement vocaux qui avaient fait de son solo un échec. Si ses scratches buccaux sont toujours un piment délicieux sur des instrumentaux alambiqués, ils ne font ici que souligner la maigreur des sons. Il serait temps pour Scratch de le comprendre. Parfait exemple : 'Now We Got You' est ainsi une production buccale anémique qui nous plonge dans l'ennui après 2 mesures maximum… Intimement lié à cette volonté d'autoproduction, on pourra remarquer le déséquilibre évident à l'écoute de l'album entre une première moitié réellement fade (due à SOT) et une seconde partie bien plus engageante (due aux prestataires extérieurs).

En dehors de ces considérations strictement musicales, force est de constater que Syntax, Intense et Speaque-eazie sont dotés de flows fluides et bien rodés, expérience scénique oblige. Indéniablement à l'aise sur la rythmique, multipliant les acrobaties verbalistiques sans sacrifier la clarté de leurs propos, ils sont de vrais emcees mais ils ne parviennent pourtant pas vraiment à nous convaincre dans leurs textes. S'ils utilisent un vocabulaire plus étendu que bon nombre de emcees, on ne peut pas dire que les rimes des Schoolz of Thought découlent réellement d'une "école de pensée" ou nous poussent à la réflexion. En dehors d'un 'One Of Those Dayz' (où le trio nous conte ses pires journées pour mieux nous inviter à prendre la vie du bon côté), d'appels à l'éveil des consciences lancés dans le vide et d'un bref couplet critiquant l'oppression policière aux USA ('Natural Disaster'), l'egotrip, le dénigrement des wack emcees et autres affabulateurs et leur dévouement viscéral au hip-hop restent leurs sujets de prédilection au risque de nombreuses redites, de lieux communs et d'un certain ennui pour l'auditeur. On peine alors à trouver une justification à ce nom de groupe qu'on croyait annonciateur de pensées censées ou de concepts nouveaux… Quid du storytelling ou de l'introspection ? Rien de tout cela en vue. On tourne en rond et on est donc logiquement déçu du résultat. En plus, les interludes à répétition ne brillent pas par leur qualité mais plutôt par leur inutilité…

En fait le gros problème de ce "From Thought To Finish", c'est qu'il manque cruellement d'un apport nouveau, que ce soit dans les ambiances, dans l'approche textuelle ou dans les flows. Schoolz of Thought font les choses bien dans leur genre mais ils ne changent guère la donne et ne se démarquent pas vraiment par des personnalités ou un charisme hors du commun. Ils peinent donc à tenir la comparaison avec tous leurs glorieux prédécesseurs et, si "From Thought To Finish" est somme toute un premier album sympathique, il n'a rien d'essentiel. La nouvelle sensation de Philly n'a rien de bien sensationnel à nous présenter ici. Evoluant dans un classicisme jazzy post-Tribesque, elle est loin du 'Never Seen Before' annoncé. Si ce premier opus est agréable à l'écoute, on doute que Schoolz of Thought aient les épaules assez larges pour prendre la relève de leurs glorieux prédécesseurs. Le buzz autour de leur nom semble donc quelque peu disproportionné à l'écoute de leurs performances discographiques. Reste maintenant à voir ce qu'ils donnent sur scène…

Cobalt
Mai 2003